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Je ne pus m’empêcher de rire irrévérencieusement à cette question naïve.

— Oui, Père, les religieux de France savent tous lire et écrire. Cette condition ne se pose même pas. Un moine ne saurait être illettré.

— Hélas ! beaucoup trop des nôtres le sont encore !

La pensée attristée de l’higoumène s’était noyée dans le silence… Il m’advint de questionner aussi :

— Ne constatez-vous point, Père, avec l’évolution politique et sociale de l’Orient, un fléchissement des vocations athonites ?

— À la vérité, elles diminuent. Aussi bien n’est-ce là qu’un effet des guerres de ces dernières années. Le très Saint Athos ne mourra pas. Il compte encore huit mille moines.

Ainsi, devisant amicalement comme des bergers de Virgile, nous allions sur les gazons mouillés, tapissés de feuilles de noyers jaunies et de cosses épineuses de châtaignes. La bonne odeur fraîche des mousses et des vivaces frondaisons s’épandait en l’air vif. Nos pas ne s’entendaient point. Il y avait de la douceur dans nos propos, dans le sol que nous foulions, dans tout ce qui nous entourait et jusque dans la mélancolie de ce ciel automnal, où s’allongeaient des traînées de suie. La grande cloche de Koutloumoussiou nous tira de notre dialogue. Ce fut le même accueil, le même cérémonial qu’à Xiro Potamou. Les deux monastères sont idiorrythmes. Ce fut aussi la même majesté triste dans la grande cour intérieure, le même air de féodalité survécue, faisant osciller l’imagination entre un château fort et un couvent. Comme à l’appel des offices nocturnes, un moine s’en allait, portant sur son épaule une longue barre de châtaignier : et il la frappait en cadence avec une fourche de coudrier armée de deux galets. En cet instrument primitif se synthétisait l’immuable simplicité du vieil Athos. L’appel, d’une sonorité claire et douce, faisait rouler en cascades ses notes moelleuses, amplifiées par les échos du monastère. Çà et là des religieux, arrachés à leur diurne sommeil, se joignaient à notre cortège. Nous allions faire nos dévotions à l’icône très miraculeuse de la Vierge sauvée des eaux, que Koutloumoussiou entoure d’une filiale vénération. Du visage et des mains de Marie, le temps a fait des taches sombres que les demi-ténèbres rendent noires. Il ne reste en lumière que la robe d’argent aux plis rigides, aux éclatants reliefs. Et l’on a