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jour de Pâques. D’après la coutume russe, les trois premiers jours de la semaine de Pâques on se faisait des visites : presque dans chaque maison il y avait un goûter. On avait apporté au Grand-Duc quelques bouteilles de vin et nous le dégustions avec délice aux repas.

Notre voisin, le prince L… avait loué une maison possédant un grand jardin avec potager ; il m’en avait cédé deux carrés. Dès les premiers jours du mois de mai, nous nous mîmes au travail. Il faisait beau, même chaud. Nous avions sur la rivière un canot à notre disposition ; en moins de cinq minutes, on pouvait passer d’une rive à l’autre. Le Grand-Duc faisait des excursions en canot ; il allait le plus souvent dans un monastère situé non loin de la ville, sur les bords de la rivière ; c’était pour lui une distraction. Cependant les bateaux à vapeur qui font le trajet entre Wologda et Arkangel reprirent leur service. L’idée de fuir vers le Nord ne pouvait manquer de nous venir à l’esprit. Mais le risque était grand, l’argent faisait défaut ; et d’ailleurs, en admettant même la possibilité d’une évasion, le Grand-Duc aurait par-là compromis son frère et son cousin. Il ne s’est donc jamais arrêté à cette idée.

Il faut dire aussi que personne n’imaginait que les choses dussent prendre la tournure tragique qu’elles allaient avoir dans un si proche avenir. Le soulèvement de Jaroslaw venait de commencer et de nouveau tout le monde était plus que jamais rempli d’espoir. L’armée rouge subissait des pertes énormes. Les commissaires bolchévistes se montraient inquiets, et d’arrogants devenaient plats. De Pétrograde on nous écrivait de source sérieuse que cette fois, il n’y avait plus de doute possible : c’était le commencement de la fin. Hélas ! toutes ces espérances devaient bientôt s’effondrer. La ville de Jaroslaw fut reprise par l’armée rouge, qui exerça de terribles représailles. A Pétrograde, il n’y eut aucun mouvement. Les commissaires retrouvèrent tout leur aplomb. Déjà, on touchait à la fin du mois de juin. Déjà, on commençait à faire ses provisions de bois pour l’hiver, car dans ces contrées septentrionales l’été est de courte durée. Et, aucun indice n’annonçant que le sort des captifs dût s’améliorer, le Grand-Duc envisageait avec tristesse la perspective de passer l’hiver à Wologda.