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En attendant, madame, ajoutez à tant d’obligations envers vous dont mon cœur est pénétré, celle de me donner de vos nouvelles et agréez la tendre et reconnaissante affection qu’il vous a vouée et qui l’animera jusqu’à son dernier soupir.

LA FAYETTE.

Voulez-vous bien rappeler à M. Necker mon respectueux attachement et au citoyen Benjamin Constant les sentiments de gratitude qui sont gravés dans mon cœur et que je voudrais pouvoir lui exprimer moi-même.


III


10 brumaire[1].

Non, madame, je n’aurais pas traversé Paris sans vous porter mes plus tendres hommages, si je m’étais promis d’aller remplir aucun des désirs et des devoirs de mon cœur. Mon intention était d’embrasser quelques victimes qui pleurent encore avec moi mes amis ; je ne souhaitais pas moins vous parler de mon attachement, de ma reconnaissance, de tous les sentiments que je vous ai voués jusqu’à mon dernier soupir.

Mathieu[2]vous aura dit encore mieux que mon billet, que j’ai cru devoir partir pour la campagne où vous auriez préféré que je débarquasse. Vous voulez bien m’offrir le bonheur de vous y recevoir ; je l’accepte avec une vive sensibilité et d’ici à quelques jours, nous tâcherons que la maison soit en état d’admettre, non des étrangers, mais une amie telle que vous. Ma femme s’unit à moi pour vous remercier mille fois de l’intérêt que vous prenez à notre sort et de la part que vous nous donnez dans votre amitié.

LA FAYETTE.

Nous ignorons si c’est à Fontenay ou à deux lieues plus loin que nous logerons : dès que notre choix sera fait, et notre petit établissement commencé, j’aurai le plaisir de vous écrire.

  1. Cette lettre, sans date d’année, est la première de celles écrites de France. — La Fayette, rentré en France, s’était rendu à La Grange-Bleneau, terre que sa femme possédait dans le département de Seine-et-Marne. Fontenay, dont il est parlé quelques lignes plus bas, est une autre terre appartenant à la comtesse de Montagu née Noailles et située à deux lieues de La Grange.
  2. Il s’agit ici du duc Mathieu de Montmorency, qui fut de l’Assemblée constituante, puis pair et ministre sous la Restauration. Une lettre de lui à La Fayette a été publiée dans la Vie de Mme de La Fayette, à la suite de celle de Mme de Staël (p. 391).