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influer sur leur génie. Peu importe même la protection accordée, les crédits ouverts, les murailles confiées par l’Empire à ces maîtres. Ils auraient pu manquer et leur couleur demeurer la même. Il ne s’agit, enfin, ni des palais livrés à Percier et Fontaine, ni des ukases imposant les soieries de Lyon ou la toile de Jouy. Il s’agit de ce qui a pu modifier l’essence même, l’esthétique et jusqu’à la facture de l’œuvre d’art. La volonté du maître a-t-elle exercé quelque influence de cette nature et laquelle ? Cette influence a-t-elle été désastreuse ou bien salutaire ? Voilà ce qu’il faudrait rechercher pour dire ce que doit l’Art, — s’il lui doit quelque chose, — à Napoléon.


I

Pour le trouver, il faut bien se représenter comment était orientée l’École française, quand il parut. Un mot de David, enseignant ses élèves, va nous le faire voir tout de suite. Cet élève était Couder ; il venait d’un atelier rival de David, celui de Regnault et il attendait avec angoisse le verdict de son nouveau maître. « Ta figure n’est pas mal, lui dit celui-ci, mais vois-tu, mon ami, tu viens de chez Regnault, on s’en aperçoit et tu fais français… » Stupeur du pauvre élève à ce reproche, auquel il ne comprend rien ! Charles Blanc, en racontant il y a déjà longtemps cette histoire, ajoutait avec sa solennité coutumière : « Ce qu’entendait le grand peintre, c’est que l’artiste devait s’élever du particulier au général, du relatif à l’absolu ; que, dans le modèle qui posait devant lui, il devait voir non pas seulement la physionomie de tel ou tel individu, mais un homme : l’homme de tous les temps et de tous les pays. Et comme les Grecs et certains maîtres italiens avaient su généraliser la figure humaine, lui imprimer un caractère impersonnel et trouver le style par l’effacement du détail, il voulait qu’on peignît l’éternelle humanité, celle qu’avaient représentée les Grecs. Voilà ce que signifiait cette recommandation de ne pas faire français. »

Cela signifiait encore autre chose : c’est qu’il fallait rompre avec les maîtres du XVIIIe siècle, ne plus choisir les mêmes sujets qu’eux, ne plus composer ni éclairer comme eux, ne plus dessiner comme eux, ne-plus peindre dans leur gamme ni poser les couleurs, ni conduire le pinceau de la même manière.