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Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/512

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dit Winckelmann. Donc, pas de caractères individuels, rien que des figures impersonnelles. Tel est le mot d’ordre. David l’enfreint un peu et triche légèrement quelquefois : il introduit Mme de Bellegarde dans les Sabines (la femme brune à genoux, qui montre aux combattants le groupe des enfants) et un de ses élèves dans le Léonidas, immédiatement reconnaissable pour son expression particulière. Mais ces légères fantaisies du maître ne modifient en rien le caractère général de l’œuvre et ses élèves ne se les permettent même pas.

Comment tout cela peut-il s’accorder avec les nécessités du portrait ? Cela ne s’accorde pas. David le sentait bien et, en face d’un modèle à rendre, surtout d’une figure très caractérisée, étant, d’ailleurs, sensible à toutes les suggestions pittoresques, il oubliait franchement ses principes. Ou plutôt, il en avait de rechange, ayant obscurément conscience que les premiers, bons pour le grand art, ne pouvaient être appliqués dans l’art inférieur du portrait. C’est pourquoi, comme toute son époque, il mettait une cloison étanche entre le tableau d’histoire, le grand art grec, nu, impersonnel, sans couleur, destiné à célébrer les héros ou les dieux, et le portrait ou bien la scène de mœurs contemporaines. La démarcation une fois bien établie, l’artiste est à son aise. Le portrait, c’est l’œuvre servile, c’est le gagne-pain auquel on se résoud par nécessité, en se réservant d’exprimer son idéal ailleurs et en maudissant le sort qui oblige à y prostituer son talent. Nul des artistes de cette école ne se doute de ceci : seuls, ses portraits sauveront son nom et la tâche méprisée, qui lui donne le pain quotidien, lui assurera aussi une vie future dans la mémoire des hommes.

Voici la composition décidée et le type des personnages choisi. Quelles seront maintenant leurs attitudes ? Naturellement celles qui rappelleront le mieux les marbres grecs. Pour cela, David recommande à ses élèves de modeler d’abord leurs figures en terre : « il avait à cœur de former des statuaires dans son école, » dit Delécluze. M. Ingres n’était donc plus tard que son écho, à peine amplifié, quand il disait : « Nous ne procédons pas matériellement comme les sculpteurs, mais nous devons faire de la peinture sculpturale. » C’est l’ambition, à cette époque, de tous les ateliers. Pas un instant, on ne songe que le statuaire antique, si grand qu’il soit, a visé des effets plastiques et non picturaux, et que, même dans la plastique, il a dû s’en tenir aux