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universels dominaient l’Art quand Napoléon prit le pouvoir. Or, ces principes sont bien applicables à n’importe quel sujet, mais on le conçoit sans peine : nés d’observations faites sur la statuaire antique, ils ne s’appliquent avec toute leur rigueur et ne développent toutes leurs conséquences que dans les sujets tirés de l’Histoire antique ou de la mythologie, ou tout au moins comportant des figures nues et impersonnelles. Là, seulement, on peut attribuer un seul ton local, la « couleur chair, » à toute une figure, et ainsi éviter entièrement toute « mosaïque de couleurs ; » là, seulement, on peut ramener toutes les figures au canon grec. Si, au contraire, de par son sujet, l’artiste est tenu d’habiller ses académies et de leur donner des costumes de couleurs définies, riches et contrastées ; si, pour obtenir des ressemblances, il est contraint de varier la carnation et la construction de ses visages, il faudra, malgré lui, qu’il déroge aux principes du beau idéal et du ton local. Une fois la dérogation admise, le sens du pittoresque l’entraînera peut-être plus loin qu’il n’aura voulu… Pour peu qu’il ait des dons de coloriste, il sera tenté de les mettre en œuvre. La facture même changera.

Mais qui le contraindra ? D’où viendra l’élan qui le libérera de la théorie et le rendra, un instant, à lui-même ? Pas un artiste de l’an VIII ne soupçonne que les figures et les gestes de ses contemporains puissent être des sujets de grand Art. Pas un ne songe que ce furent des pages d’actualité, — ce que nous appellerions aujourd’hui du « grand reportage, » — que la Messe de Bolsène de Raphaël, les Lances de Vélazquez, ou la Ronde de Rembrandt. Ils veulent, à toute force, faire des « tableaux d’histoire » et pour eux, il n’est d’histoire que du lointain passé. Ils croient avoir la « tête épique » et il n’est d’épopée que des Grecs. Ils feuillètent donc fiévreusement leur Plutarque, pour y trouver des figures dignes de la peinture : des Caton, des Régulus, des Thémistocle. Et pendant qu’ils se livrent à cette recherche, ils ne voient pas ce qui passe devant eux. Ils cherchent partout Talius, Romulus, Léonidas, Agamemnon, alors qu’il leur suffirait de ne pas fermer les yeux pour voir Murât, Lassalle, Ney, Lannes, Napoléon. De même, ces gens qui traversent les plus beaux pays du monde sans ôter le nez de leur guide. Pourtant, ils les pourraient comprendre et décrire et faire admirer. Le livre arraché de leurs