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Psyché de Gérard, ou l’Énée racontant à Didon les malheurs de Troie, de Guérin, statues coloriées ou billes de bois verni posées dans un décor d’opéra, où nul air ne circule, où nul frisson n’a passé, on sentira combien Gros est véritablement peintre en comparaison.

Et ce n’est pas seulement Eylau et Jaffa, qui sont sortis de cette esthétique nouvelle : c’est l’œuvre tout entière de Géricault et celle de Delacroix. L’influence de Gros sur ses jeunes confrères est immédiate, manifeste et durable. Seul des artistes vraiment doués qui illustrèrent cette époque, Prud’hon toujours mis à part, Géricault a eu l’audace d’aborder des sujets de la vie réelle : l’Officier de chasseurs, en 1812, et l’Officier blessé, en 4814, sans y être obligé par Napoléon. Mais eût-il osé les peindre, avec cette fougue et ce dédain de l’Ecole, s’il n’avait pas eu, sous les yeux, les exemples de Gros, je veux dire l’Eylau et le Jaffa ? En tout cas, Géricault passionné pour l’art de Gros, est certainement issu de lui, et Gros n’ayant déployé son génie propre que contraint et forcé par l’Empereur, on peut douter que, sans l’Empereur, on eût vu, du moins à cette époque, les deux toiles célèbres de Géricault.

Enfin, Delacroix est bien de la même lignée. Si l’on compare ses œuvres à celles de Gros, on le devine ; si l’on écoute Delacroix lui-même, on est fixé. « Quand je fis, en 1822, le premier tableau que j’osai exposer et qui représentait Dante et Virgile, dit-il, le succès de ma carrière date de cette époque lointaine. Je ne parle pas de celui que j’eus dans le public, malgré mon obscurité, ou peut-être à cause d’elle, mais de la manière flatteuse dont Gros me parla de mon tableau. J’idolâtrais le talent de Gros, qui est encore pour moi, à l’heure où je vous écris, et après tout ce que j’ai vu, un des plus notables de l’histoire de la peinture. Le hasard me fit rencontrer Gros qui, apprenant que j’étais l’auteur du tableau en question, me fit avec une chaleur incroyable des compliments qui, pour la vie, m’ont rendu insensible à toute flatterie. » On le voit : Gros fut bien l’animateur de Delacroix.

Ainsi, en les aiguillant vers des sujets nouveaux, Napoléon aiguillait David et Gros et, par Gros, les meilleurs de nos jeunes artistes vers une esthétique différente. Assurément, il n’eut pas suffi de ces sujets pour faire des chefs-d’œuvre : ils n’ont pas suffi aux Debret, aux Gautherot, aux Meynier, aux Bourgeois, à