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Et comme Jean-Jacques et Mme de Warens, ils s’aimèrent. « Elle était fine, souple, l’air langoureux et volontaire pourtant et le portrait que nous avons d’elle nous frappe par la douceur pressante du regard et le sourire voluptueux des lèvres[1]. » Lui était alors, à son insu, dans tout l’éclat de la plus magnifique jeunesse.

« La figure et le corps n’étaient pas empâtés et alourdis; Balzac ne portait pas encore les cheveux longs; ils étaient coupés courts et se dressaient en touffes épaisses sur un front superbe; il ne portait pas non plus la moustache; le contour de physionomie était d’un galbe extrêmement pur et plein sans rondeur; le double menton s’esquissait à peine; la bouche abondante, fraiche, voluptueuse et mobile disait toutes les ardeurs d’une nature puissante et tendre ; le nez, aux narines frémissantes, dessinait le méplat du bout qui révélait en lui, d’après lui-même, le flair du chien de chasse. Le tout, enfin, était animé, éclairé, enflammé par le magnifique regard de ces yeux bruns, « pailletés d’or, » que toutes les femmes qui l’ont vu ont signalé : regard droit, regard pénétrant, regard sincère, regard gai, regard mutin, regard enchanteur, qui paraîtrait presque féminin, s’il n’était soutenu par la solidité de l’arcade sourcilière et par l’autorité du front. A cet âge, Balzac, qui fut si vite déformé par la vie, était beau, — beau d’une beauté ardente, expansive et rayonnante; c’était un gars noir, au teint coloré, rond, le corps plein, « les mollets énormes, » robuste et bien portant, avec l’éclair de la bonne humeur, le charme du sourire et la Hamme du génie. »[2].


L’année 1822 lui avait apporté l’amour, mais il cherchait toujours la gloire et la richesse. Infatigable, il entassait, sous les pseudonymes de lord R’Hoone (anagramme d’Honoré) et d’Horace de Saint-Aubin, romans sur romans : l’Héritière de Birague, Jean-Louis, Clotilde de Lusignan, le Centenaire, tous exécrables. Les parents s’impatientaient, s’inquiétaient. En 1825, Balzac prend une grande décision : il s’enrichira

  1. Portrait reproduit dans la Jeunesse de Balzac. (Balzac imprimeur, Balzac et Mme de Berny, par Gabriel Hanotaux et Georges Vicaire, nouvelle édition considérablement augmentée. — 1 vol.in-8, P. Ferroud, Paris, 1921.
  2. Ibid. p. 26.