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Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/592

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et la Paix du Ménage à la Bouleaunière. Il écoutera docilement, il recherchera les conseils, et même les critiques de l’Amie, il corrigera, coupera sans hésiter, dans le Lys par exemple ou dans Lambert, tout ce qui aura semblé mauvais ou médiocre à la Dilecta et c’est par elle, enfin, que seront revues, corrigées les épreuves de tous ses ouvrages.

Les années s’écoulent. En 1834, Balzac a trente-cinq ans et Mme de Berny cinquante-sept. Elle s’est résignée à l’inévitable, elle n’est plus désormais qu’une mère. Depuis un an, la jeune Étrangère est entrée en scène, et la Dilecta, stoïquement, se fait la confidente de ce nouvel amour qui doit prolonger le sien, par-delà sa vie. « Tu combles toutes mes ambitions, écrit Balzac à Mme Hanska, en 1834, et je disais hier à Mme de Berny que tu étais la réalisation du programme ambitieux que j’avais fait d’une femme. »

Cependant la Dilecta décline, les chagrins l’accablent, « elle penche la tête, écrit Balzac, comme une fleur dont le calice est chargé d’eau. Ce deux esprit, cette chère créature qui m’a mis dans son cœur comme son enfant le plus aimé, dépérit, sans que notre affection (son fils aîné [Alexandre] et moi) puisse adoucir ses plaies... Une fille devenue folle, une autre fille morte, une troisième mourante, que de coups !... Puis une blessure plus violente encore et dont on ne peut rien dire. »

Enfin en novembre 1835, la mort d’un fils de vingt-trois ans, Armand, celui de ses quatre enfants survivants qu’elle chérissait le plus, lui donna le coup de grâce. La Dilecta ne survécut que quelques mois à son fils et mourut le 27 juillet 1836, âgée de cinquante-neuf ans, dans sa maison de la Bouleaunière, que depuis un an elle n’avait pas quittée. Balzac, retenu à Paris, ne put l’assister à ses derniers moments. « Mme de Berny est morte, écrivait-il à l’Etrangère, je ne vous en dirai pas davantage. Ma douleur n’est pas d’un jour, elle réagira sur toute ma vie... Un mot, une observation de la céleste créature dont Mme de Mortsauf est une pâle épreuve, me faisait plus d’impression que tout un public, car elle était vraie, elle ne voulait que mon bien et ma perfection. Je vous fais son héritière, vous qui avez toutes ses noblesses, vous qui auriez écrit cette lettre de Mme de Mortsauf qui n’est qu’un souffle imparfait de ses inspirations constantes... » Et Balzac ajoutait religieusement : « Je ne crois pas commettre de sacrilège en vous cachetant votre lettre avec