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Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/63

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confrontait au texte latin l’ingénieuse interprétation qu’il en tentait :


Mon père traduisait Catulle
Et ma sœur déchiffrait Mozart…[1]


Mozart, qu’Eugène Rostand invoquait dès ses premières poésies, Catulle qu’il traduisait, génies charmants et tendres, tels sont les dieux familiers qui se penchent sur la jeunesse de Rostand en des paysages méridionaux.

Cependant l’ingénieux latiniste, collaborant avec son ancien maître, le célèbre Benoist, qui fut à la Sorbonne professeur de poésie latine, arrive à donner en 1882, chez Hachette, cette traduction de Catulle, élégamment établie par l’imprimeur Perrin, avec une belle typographie, « cette association d’italique et de romain adoptée par les Estienne et les Buon, tels que l’italique du texte latin dans le Lucrèce, in-16, de Gryphe, un prédécesseur lyonnais de Perrin. » C’est en ces termes qu’Eugène Rostand présentait la typographie de son livre, et il concluait : « Le public jugera le tout, l’écorce et le fruit. »

Le public a jugé et peut juger encore ; après trente-huit ans écoulés, ce livre reste net de tout déchet, d’une présentation impeccable, d’une érudition solide, et quant à la traduction en vers, pour laquelle Eugène Rostand n’a rien dû à Benoist, elle constitue un tour de force, tel que je n’en connais point de pareil dans notre littérature ; elle est tout ensemble d’un latiniste et d’un poète ; c’est, avec les récentes traductions de Virgile, qu’ont faites Ernest Raynaud, André Bellessort et Gaston Armelin, une des rares traductions en vers de poètes latins, qui, malgré les difficultés de la rime, soient supportables et même agréables.

Cependant, s’il faut en croire la chronique de Marseille, ce petit livre fit tort à son auteur : le poète Catulle devait empêcher le poète Eugène Rostand d’être élu député.

C’est qu’à un certain moment Eugène Rostand rêva d’entrer dans la politique militante. D’abord bonapartiste très actif, — et remarquons en passant que l’auteur de l’Aiglon fut bercé de bonne heure aux souvenirs de l’épopée napoléonienne, — Eugène Rostand se rallia vers 1885 à une République libérale, dont il rêva d’être à Marseille le représentant. Mais en cette ville

  1. Les Musardises, 2e éd. p. 186.