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d’une ville bonne enfant, avec ses types pittoresques, ses promeneurs nonchalants, ses aimables promeneuses…

Pour aller au lycée, de la rue Montaux où il habitait alors, à côté de la Préfecture, et qui s’appelle aujourd’hui la rue Edmond-Rostand, le choix du jeune lycéen pouvait hésiter entre la rue de Rome, où se presse le gros du charroi marseillais aux attelages pompeux, et la rue Saint-Ferréol, rendez-vous de toutes les élégances ; et dans l’une et l’autre rue, c’était la même animation sans fièvre, le même tumulte joyeux, qui n’avait alors rien d’excessif, la foule la plus plaisante à voir et a entendre, la vie enfin, la vie partout.

La vie, telle sera la qualité peut-être dominante de son œuvre, le papillotement de ses foules, de ses figurants, des vives répliques jetées par les personnages qui passent et, qui ouvrent d’un seul mot des horizons, comme ces passants des rues de Marseille qui tout à coup font sonner à notre oreille les noms d’Alger, de Tunis ou de Saigon, débarqués la veille de la Joliette ou sur le point de s’y embarquer, comme ces marchands ambulants, qui ont la verve et le bagout d’un Squarciafico, d’un Straforel, du tailleur de l’Aiglon… Toute cette vie, avec ses prolongements d’exotisme, ce jeune homme l’a traversée pendant plusieurs années pour aller à son lycée.

Et pour s’y rendre, le plus court chemin était aussi de monter la rue Moustier et de passer devant cette vieille fontaine ombragée d’un grand platane, au-dessus de laquelle s’élève une statue d’Homère…

Homère !… et je voyais la grande mer s’enfler,

dira bientôt le jeune poète des Musardises[1].

Mais était-il besoin de lire Homère ? Il n’était que d’aller flâner sur la célèbre Corniche. La mer ! Nul doute que ce poète ne l’ait beaucoup aimée, bien que sa santé plus tard lui en ait interdit le voisinage. Mais c’est bien le tremolar de la marina, qui est à l’horizon de la Princesse lointaine. C’est cette mer par laquelle s’en vont et reviennent les matelots au langage savoureux comme ceux de la nef qui porte Joffroy Rudel, et les navires chargés de beaux rêves et aussi de ces épices, dont les parfums vont s’amalgamer à la ville. Plus tard, quand Rostand

  1. 2e édit. p. 46.