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dibules, enfonçait les dents en la gueule, défonçait les omoplates, débezillait les fauciles, et que les moinillons du couvent achevaient la destruction des envahisseurs du clos en égorgetant avec leurs petits couteaux ceux que le moine avait portés à terre, la plus grosse partie de l’armée de Picrochole, continuant sa route, parvenait au « gué de Vede. »

Jusqu’à ces dernières années, on plaçait ce gué à cinq kilomètres au-dessus de Chinon, sur la Veude, c’est-à-dire à près de trois lieues du théâtre de la guerre, ce qui rendait incompréhensibles la marche de Picrochole et les autres opérations ; aussi bien ne songeait-on guère qu’elles fussent vraisemblables… Mais voyons la carte. Sortant de Seuilly, Picrochole se dirige vers La Roche Clermaut : il suit donc, soit la route de Lerné à Chinon, soit un chemin qui, partant du clos, s’étendait au-dessus de celui-là ; dans les deux cas, il doit rencontrer bientôt un petit cours d’eau : c’est là évidemment qu’il faut chercher le gué de Vede. Or, aujourd’hui, ce ruisseau aux rives hérissées de roseaux et de joncs, s’appelle le Négron ; mais autrefois il n’avait pas de dénomination bien arrêtée : on le nommait tantôt la Beuxe (ou Busse), tantôt la Veude du Négron, tantôt la Veude (ou Vede) tout court ; par conséquent, le gué de Vede peut être un gué du Négron. Et ce qui prouve qu’il l’est, c’est ceci. Nous voyons dans Gargantua que tout à côté du gué de Vede logeait un meunier, et que le gué était doublé d’un pont, ou plutôt d’un simple passage en planches. Eh bien ! aujourd’hui encore, un moulin se dresse sur le Négron, précisément à l’endroit où passaient le chemin de Lerné à Chinon et l’autre chemin de Seuilly après s’être rejoints, et, devant ce moulin, un pont s’étend encore, non plus de bois, mais de pierre, à cette heure. Le gué de Vede de Rabelais se trouvait là, cela ne fait point de doute, touchant à la Saullaye, non loin de deux arpents de terre qui dépendaient de la Devinière, juste au-dessus du moulin du Pont.

Ayant donc passé ce gué, Picrochole assaille La Roche-Clermaut et s’en empare sans éprouver la moindre résistance. Gravissons derrière lui le chemin escarpé qui conduit sur le plateau. Le château où le roi de Lerné rêvait avec ses capitaines de conquérir l’Europe et l’Asie sans négliger l’Afrique, et dont il existait encore des morceaux importants en 1699, a été remplacé par une grande bâtisse du XVIIe siècle : on n’en trouve