Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/794

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rapports avec Votre Excellence ; il espère même que ces rapports deviendront tout à fait cordiaux et intimes. Ai-je besoin de vous dire combien je le souhaite moi-même ?

Ces effusions terminées, il se lève. Tandis que je le mène jusqu’à la porte, je retrouve soudain en lui le Manouïlow que j’ai connu antérieurement. S’arrêtant, il me glisse à voix basse :

— Si vous avez besoin de n’importe quoi, Excellence, veuillez me faire signe. M. Sturmer a en moi une confiance absolue et ne me refusera jamais rien… Donc, à votre service !

Je n’oublierai de longtemps l’expression de son regard en cette minute, un regard sournois et dur, cynique et madré. J’ai devant moi toute l’ignominie de l’Okhrana


Mercredi, 9 février.

Voici la relation exacte des faits mystérieux qui ont motivé dernièrement la disgrâce du ministre de l’Intérieur, Alexis Khvostow : ils projettent une triste lumière dans les dessous du régime.

Quand Alexis Khvostow a reçu, au mois d’octobre dernier, le portefeuille de l’Intérieur, sa nomination a été non seulement suggérée, mais imposée à l’Empereur par Raspoutine et Mme Wyroubow. L’escroc de haut vol qui s’appelle le prince Michel Andronnikow et qui est le compagnon familier du staretz, son courtier habituel, son principal entremetteur, a joué un rôle très actif dans la circonstance. La désignation de Khvostow a donc été un succès pour la camarilla de l’Impératrice.

Mais bientôt un conflit personnel s’est élevé entre le nouveau ministre et son adjoint, le rusé Directeur du Département de la Police, Biéletzky. Dans ce milieu de basses intrigues, de compétitions jalouses, de rivalités occultes, la méfiance est réciproque et les disputes continuelles. Khvostow s’est trouvé ainsi peu à peu brouillé avec toute la bande qui l’avait porté au pouvoir. Alors, se sentant perdu, il a secrètement changé ses batteries. Et comme son ambition est faite surtout de cynisme, d’audace et d’orgueil, il a tout de suite aperçu le rôle magnifique, le rôle national, qu’il pourrait se tailler en délivrant la Russie de Raspoutine.

Il venait précisément d’apprendre que le moine Héliodore, célèbre par sa liaison d’autrefois avec le staretz, puis devenu son