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Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/81

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encore courir. Car cette race vive procède ainsi dans les démarches de l’esprit ; elle n’adopte point une allure continue et régulière ; elle galope sur les routes de l’intelligence, puis, fatiguée, se repose longuement et, sous le coup de la nécessité, repart pour une nouvelle course. Alors, entre deux flâneries, elle travaille avec la rage du paresseux, qui, furieux d’y être contraint, abat rapidement sa besogne, pour avoir le droit de se reposer ensuite. Au fond, cela revient au même : travailler vite et par intermittences équivaut, comme rendement, au travail lent et quotidien ; mais à procéder ainsi on semble moins sérieux, et peut-être plus élégant.

Cette élégance, cet air de ne pas trop travailler, qu’affectent souvent les Provençaux, comme les Grecs qui se vantaient, race libre, d’être toujours de loisir, Rostand la cultivait dans sa vie et dans son œuvre, mais il ne faut pas s’y tromper : cette œuvre suppose pourtant une assiduité très grande au travail intellectuel, une abondante documentation en ce qui concerne Cyrano et l’Aiglon, un travail très minutieux, qui se révèle dans le détail technique de ses moindres poèmes. Ce n’est point ici un Lamartine négligent qui laisse ses vers à corriger, c’est un poète subtil et méticuleux, que sa subtilité même entraine à la minutie et qui ne livre rien à l’improvisation. Ce qui semble abandonné dans sa poésie est d’un abandon très étudié, comme l’extrême bonhomie, la simplicité d’un grand acteur supposent de longues études. D’ailleurs, si l’on songe à la brièveté de cette carrière, à la maladie qui immobilisa le poète pendant des mois ou même des années, à la fragilité constante de sa santé, on pourra bien concevoir que cette paresse était celle d’un vrai Phocéen, de ces négociants actifs qui traitent au café, entre deux cigarettes, les plus grosses affaires, de ces orateurs du Midi, qui ont l’air de ne pas savoir, quand ils commencent, ce qu’ils vont dire et qui n’ont en réalité qu’à dérouler les phrases d’un discours préparé dans leur lit ou à la promenade…


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Ainsi se comporte l’esprit d’un Rostand, ingénieux et subtil. Cette subtilité, toute son œuvre en témoigne, subtilité qui raffine sur les sentiments et sur l’expression de ces sentiments, amour de ce qui est fragile et irréel, de ce qui va finir ou bien de ce qui ne sera jamais. A bien y réfléchir, n’est-ce pas le