Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il n’en est rien ; voilà des sujets qui comportaient de terribles difficultés pour tout autre, et Rostand les a traités avec la plus grande souplesse parce qu’en réalité il lui fallait de tels sujets pour donner libre cours à toute la subtilité de son esprit. Embarras pour d’autres, ils sont pour lui de merveilleux excitants.

Cette subtilité, il l’applique aussi à l’expression des sentiments et de là vient cet usage presque continuel de l’esprit qu’on lui a reproché ; ce n’est pas de l’esprit au sens où nous l’entendons d’ordinaire, le jeu de mots, cultivé pour lui-même dans un désir tout extérieur de plaisanterie facile. C’est cela, parfois, dans Chantecler, mais lorsque le poète fait parler le merle, qui symbolise pour lui le mauvais esprit parisien, la contrefaçon grossière du véritable esprit, lequel n’est qu’un raffinement de la pensée ou du sentiment.


Ce raffinement de la pensée et du sentiment se manifeste plus spécialement dans la conception de l’amour, qui se dégage de tous ces poèmes. L’amour courtois du moyen âge, l’amour des Troubadours qui chantent leur Dame ou meurent pour elle, sans en obtenir rien, après des siècles, voici que nous le retrouvons en cette œuvre, dans le cœur de Joffroy Rudel, cela va de soi, mais aussi dans le cœur de ces Romanesques qui ne s’aiment qu’à travers la fiction de Roméo et Juliette, inspirée à Shakspeare par l’Italie des troubadours, dans le cœur de la Samaritaine qui s’élève peu à peu de l’amour humain à l’amour divin, et dont « la chanson d’amour devient une prière, » dans le cœur de Mélissinde, qui, d’avoir été effleurée par l’aile vaine de ce grand amour lointain, renonce, pour en être digne, à toutes les joies du monde, et qui, jetant à la foule son manteau de pierreries, entre au couvent pour y prolonger le rêve de cet amour trop sublime pour la terre ; dans le cœur de Cyrano qui aime en silence et ne déclare son amour que sous le masque d’un autre, dans le cœur de Thérèse de Lorget, la Petite Source, dont le timide murmure rafraîchit un instant l’âme du duc de Reichstadt, dans le cœur du duc de Reichstadt lui-même qui se contente de respirer cet amour et le déchire en même temps que toutes les lettres par lesquelles d’autres lui révèlent leurs sentiments.

Il est ainsi cet amour, ce noble amour, plus « noble d’être