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sympathie grandissante commença de fréquenter chez Mlle Fressigne.

Que se passait-il en Julie? Il n’est point téméraire de le présumer d’après ce que nous connaissons d’elle.

Idéaliste et romanesque, le rôle d’ange gardien, de providence d’une âme d’élite, exalte son imagination, comme la pensée flatte son orgueil d’associer son nom à un grand nom, sa vie à une vie de douleur et de gloire.

Pour Augustin Thierry, voici longtemps déjà que lui pèse une solitude d’autant plus cruelle à ses infirmités. De nature infiniment affective et tendre, il a toujours recherché la société des femmes, subi profondément leur influence ; le souvenir de Mlle Allègre s’est estompé dans sa mémoire, mais, s’il a dû renoncer à l’amour, il continue de rêver ardemment à ce qui serait une amitié conjugale fondée sur l’étroite communion des esprits et des cœurs. La présence de Mlle de Quérangal, ses longues causeries avec elle, l’intimité intellectuelle établie entre eux, accroissaient encore ce désir de toute la puissance d’un bonheur entrevu. Par pudeur d’infirme, il se taisait pourtant, trop fier pour avouer le sentiment, à ses yeux, sans espoir, qui l’avait envahi. Amédée Thierry était retourné à Vesoul, le séjour de l’amiral à Luxeuil touchait à sa fin : ce fut Mlle Fressigne qui hâta le dénouement souhaité de part et d’autre.

Avait-elle, comme il est probable, reçu confidence de Julie, ou bien obéit-elle à quelque mystérieuse suggestion d’intuition féminine? Quoi qu’il en soit, elle avertit Augustin Thierry que sa demande, s’il la formulait, serait certainement agréée. A la fin d’août, les fiançailles furent officiellement annoncées et le mariage célébré le 7 novembre, en l’église Saint-Georges de Vesoul.

Pendant treize années d’une union sans nuages, Mme Augustin Thierry allait être pour son mari la meilleure et la plus dévouée des compagnes, et, comme il le répétera bien souvent lui-même, « toute sa raison d’être et tout son intérêt de vivre. »


TROIS ANNÉES D’EXIL

Les nouveaux mariés s’étaient provisoirement installés à la préfecture, en attendant, comme il s’en croyait assuré, que l’historien de la Conquête normande fût bientôt pourvu à Paris de quelque emploi dans l’Université reconstituée.