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tambourineur, qui va « jouant du triste et du gai tout ensemble[1], » dont le tambourin sonore et triste est lourd à porter comme un cœur, et dont la plainte sourde se mêle à celle du galoubet moqueur et spirituel, et plus tard il parlera de ces rires, auxquels on s’abandonne un instant, étonné soi-même, avec la crainte que le rire tout à coup ne « se casse en un sanglot[2]. »


Rires et pleurs,.. mais par-dessus le tout jaillit, dominant tout autre sentiment, l’enthousiasme, cet enthousiasme que le frère Trophime déclare « la seule vertu, » cet enthousiasme pour la Beauté, qui donne des forces aux rameurs de la barque désemparée de Rudel, comme aux mariniers de la reine Jeanne que Mistral avait déjà montrés, ramant vers le mirage, à cause du mirage, et voulant que ce mirage soit une réalité et le faisant devenir réel à force d’y croire, cet enthousiasme qui soulève le cœur de Bertrand d’Alamanon, comme celui de Cyrano et de Flambeau et qui permet à Chantecler de croire qu’il fait, tant il y croit, sortir le soleil de la nuit.


Serais-je provençal, serais-je troubadour,
Si je n’avais pas pris parti pour cet amour ?


s’écrie Bertrand d’Alamanon, l’ami de Joffroy Rudel, et Joffroy Rudel déclare qu’il meurt d’avoir chanté sa dame,


Éperdument chanté sa beauté sans égale
Comme d’avoir chanté le soleil, la cigale…


Cet enthousiasme, reconnaissons-en la qualité. C’est celui qui saisit Edmond Rostand au lendemain de l’armistice, et, sans souci de sa santé, le jette frémissant au milieu de la foule de Paris, où, par un jour frileux de novembre, il contracte le mal qui va l’emporter, mourant, lui aussi, d’avoir « éperdument chanté. » Cet enthousiasme qui s’épanche en un lyrisme intarissable et dont le souffle agite le frisson d’un panache, c’est celui dont s’enfla la voix de ces volontaires de Marseille, qui donnèrent leur nom au chant national, sous l’invocation duquel Edmond Rostand, par un juste hommage à sa ville natale, voulut placer ses derniers poèmes.

  1. Les Musardises, 2e éd. p. 69.
  2. Ibid. p. 159.