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accident est arrivé chez ces demoiselles du Lac ; une fuite dans le réservoir. L’accident est arrivé hier : Mr van der Luyden, prévenu, a aussitôt fait partir une femme de chambre pour préparer la maison du Patroon. J’espère que vous la trouverez suffisamment confortable. Ces demoiselles ont envoyé leur cuisinière, et vous serez aussi bien qu’à Rhinebeck.

Archer regarda le domestique avec une sorte de stupeur :

— Ce sera tout à fait la même chose, monsieur, répétait celui-ci.

Ce fut May qui lança d’une voix allègre :

— La même chose que Rhinebeck… la maison du Patroon ? Mais ce sera mille fois mieux, n’est-ce pas, Newland ? Quelle charmante pensée ont eue ces van der Luyden !

Pendant que la voiture roulait, la femme de chambre à côté du cocher et les reluisants sacs de voyage sur le strapontin, la jeune femme continua, très animée :

— Croiriez-vous que je n’y suis jamais entrée ! Et vous ? Les van der Luyden la montrent si peu ! Ils l’ont ouverte pour Ellen : c’est elle qui m’a dit que c’était un bijou, la seule maison d’Amérique où elle pourrait être parfaitement heureuse.

Et elle ajouta, avec son sourire juvénile :

— C’est notre chance qui commence : la chance merveilleuse que nous aurons toujours ensemble.


XX


— Naturellement, ma chérie, nous acceptons le dîner chez les Carfry, disait Archer.

Les nouveaux mariés prenaient leur petit déjeuner dans le salon meublé de cretonne luisante de leur lodging de Londres. Un brouillard opaque assombrissait les vitres, et un feu d’anthracite rougeoyait derrière la grille en acier poli.

May, le front anxieux, regarda son mari par-dessus la lourde théière en métal anglais derrière laquelle elle trônait.

Dans ce pluvieux désert du Londres d’automne, les Newland Archer ne connaissaient exactement que deux personnes, et encore les avaient-ils évitées avec soin. C’était une des traditions de dignité du vieux New-York : on ne s’imposait pas aux relations que l’on pouvait avoir en pays étranger.

Mrs Archer et Janey, au cours de leurs nombreux voyages en