Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 61.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’Entente. Il s’engagerait à prendre les armes, puis, au dernier moment, il se déroberait, ainsi qu’il l’avait déjà fait à plusieurs reprises. S’il était de bonne foi, une pression nouvelle n’était pas nécessaire ; les démarches antérieures et la présence de la flotte auraient été suffisantes pour le couvrir vis à vis de l’Allemagne.

M. Guillemin estimait en outre que toute démarche tendant à forcer le Roi à la guerre serait désastreuse. D’abord, ce serait un procédé diplomatique anormal et irrégulier : il donnerait, étant inconstitutionnel, à l’absolutisme du pouvoir royal une investiture contraire à la constitution pour laquelle les Puissances garantes combattaient en Grèce depuis un an. Dans tous les cas, ce n’était pas au Roi, mais au Gouvernement, qu’il faudrait s’adresser.

D’autre part, cette démarche comminatoire serait contraire à nos déclarations répétées que nous n’obligerions pas la Grèce à sortir de la neutralité : elle compromettrait gravement notre réputation de loyauté. Enfin, ce serait une lâcheté et une véritable trahison à l’égard du parti vénizéliste, au moment où il franchissait le Rubicon et s’attachait à sauver l’honneur national.

L’attaché naval se ralliait à l’opinion du ministre de France. Il demanda à l’amiral Lacaze, ministre de la Marine, de la faire prévaloir près du Gouvernement français : « Il faut être sur place, écrivait-il, pour se rendre compte de l’état déplorable que produirait une pression exercée sous la forme préconisée par les ministres anglais et russe. Le moins qu’on pourrait tenter serait de ne pas y associer la France. Dès lors, il n’y a rien à faire près du Roi qu’à le laisser prendre tout seul sa décision, en rejetant ses propositions jusqu’à ce qu’elles soient acceptables. S’il déclarait la guerre, les Alliés n’auraient ni compromis leur réputation, ni engagé leur responsabilité, ce qui les dispenserait d’assurer des compensations. Du reste, s’il se décidait à prendre les armes contre la Bulgarie, il ne le ferait que mollement, et mieux valait laisser Vénizélos la déclarer avec des volontaires. Par suite des bruits qui circulaient, le réveil qu’il sonnait atteignait de plus en plus l’armée. Beaucoup d’officiers eussent préféré faire la guerre à la Bulgarie sans déserter ; ils subordonnaient leur conduite à la décision royale ; mais si le Roi ne marchait pas, ils déserteraient pour courir sus à l’ennemi héréditaire.