Claire, et si honnête femme qu’elle fût et qu’elle eût dessein de l’être, n’aimait pas son mari, ne l’aimait pas d’amour. Il y a de l’absolu, dans l’amour. Les analogies d’âme et les convenances peut-être mystérieuses que l’amour exige ne se sont pas trouvées entre Claire et son mari : elles se sont trouvées entre Claire et Alain.
Puis ce fut à l’époque de la guerre !… Un moraliste un peu rude répliquera que l’on a tort d’appeler la grande histoire et la querelle des nations, l’Europe et l’Amérique, au secours d’une anecdote sentimentale, au secours d’une épouse adultère et de son frivole complice. Un moraliste un peu rude a raison ; mais il n’a que rudement raison : la vérité des âmes lui échappe.
Claire et Alain, que torture le sentiment de la faute, sans que leur amour cède pourtant à leurs scrupules, ont fait à l’abbé Bacqué leur aveu. Et l’abbé, premièrement, les a traités sans indulgence. Et ensuite l’abbé a dit sa messe. Il a médité. Il songe : « les temps terribles que nous vivons se ramassent devant moi. Quel temps !… Les chefs de famille sont absents. Les femmes s’endorment sans leurs maris. Les jeunes hommes partent, ou sont à la veille de partir pour une destinée presque toujours mortelle… A ceux qui marchent dans la nuit, on doit plus de pitié, s’ils butent ou s’ils tombent, qu’à ceux qui cheminent dans la lumière. » Voilà ce qu’un moraliste qui n’a que rudement raison ne comprend pas.
Vers le moment où Claire et Alain cèdent à leur criminel amour, Charles est mort à la guerre. On préparait une offensive, dans le secteur où il était occupé à creuser des mines. La veille de sa mort, il écrivait à Claire ; et il ne soupçonnait rien de ce qui se passait en Gascogne, chez lui. Cette lettre, longue et d’une admirable simplicité, M. Marcel Prévost l’a composée avec un art qui sait disparaître et ne laisser que la réalité toute seule. Charles n’a point la certitude qu’il mourra ; mais, dans l’incertitude, il écrit cette lettre qui est son testament éventuel : « Un homme est auprès de toi, que j’aime le plus au monde, après toi. Il était encore une sorte d’enfant malade et boudeur quand tu l’as connu… Si je disparais, et si tu te remaries, que deviendra-t-il ? Comprends-tu que mon angoisse est doublera songer qu’un inconnu vivrait auprès de toi, et que mon frère Alain, exclu de ta vie par ton remariage, serait de nouveau seul au monde ? Je ne veux rien ajouter ; et tu comprends que je ne veuille rien préciser. Moi disparu, mon vœu serait que les deux êtres qui occupent tout mon cœur ne se séparent jamais… Je veux qu’ils sachent l’un et l’autre que j’ai, plein de vie, de sérénité, de sang-froid, envisagé cet avenir