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de cette Rhénanie reconnaissante à ceux qui lui apportent de l’héroïsme, du désintéressement et de l’honneur.

C’est que Victor Hugo, — il faut dûment le constater, — est homme de la vallée du Rhin. Il l’est de fait et de choix. Ses origines paternelles plongent dans une Lorraine qui ne partageait pas encore les destinées du royaume de France. Lui-même a perpétuellement tourné les yeux vers ces Marches de l’Est. Il n’a guère tenu à voyager que sur le Rhin. C’est là seulement qu’il a redoublé ses voyages. Venu à Strasbourg en 1839, il remonta le fleuve jusqu’en Suisse ; en 1840, il explora pendant plus de deux mois toute la région de Cologne à Mayence. N’y revint-il pas sous l’Empire ! Après 1871, il va sur la Moselle à Thionville pour honorer le nom de son père, défenseur de cette forteresse. A plusieurs reprises, le vieux poêle s’attarde dans la petite ville mosellane de Wianden, toute enveloppée des légendes de l’Eifel. Et toujours prenant des notes d’écrivain et de peintre. Voyez ses dessins : ils sont quasi tous consacrés à une Rhénanie médiévale ou actuelle. Écoutez sa politique extérieure : elle est toute fondée sur une théorie rhénane. Quand il veut prendre rang de ministrable et fournir ses titres politiques, c’est la politique du Rhin qu’il expose. Il s’est préoccupé longuement des rapports de la France, et de l’Allemagne. En 1870, sa déception fut grande de trouver une Allemagne unifiée, ne laissant plus de place à un équilibre rhénan ; en 1871, il s’associe comme Lorrain dépossédé à la protestation de Bordeaux.

Allons plus profondément. Quand il cède au plaisir de se peindre, il se peint en chevalier du Rhin : Eviradnus est son portrait moral. Quand il cède plus obscurément à son imagination, et qu’il se choisit les ancêtres dont il eût aimé descendre, (audacieuse et charmante adoption d’un génie qui se cherche des pères de son goût), il se réclame des seigneurs du Rhin. Ce sont là ses parents d’élection. Quand il se donne une mission, c’est dans son burg de Guernesey de tenir tête, fût-il seul, à l’Empereur. Enfin au terme de ses œuvres et de ses songeries, regardez-le, le vieux poète aux cheveux blancs, assis à son banc du Sénat, c’est le Burgrave de la démocratie.

Les affinités naturelles de son esprit l’ont amené à comprendre le vrai caractère de l’imagination rhénane. Il a discerné qu’elle n’engendrait pas de divinités diffuses et de forces