Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 61.djvu/390

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souffrance pour Mrs Welland que la répugnance d’Archer à faire d’avance le programme de ses journées.

Quand le jour de la réception des Sillerton approcha, May ne fut rassurée que lorsqu’Archer parla de louer un buggy pour aller à un haras près de Portsmouth, choisir un second cheval pour le coupé. Cette idée était née dans son esprit, le jour même où on avait parlé de l’invitation des Emerson Sillerton, mais il s’était gardé d’en rien dire. Il avait poussé la précaution jusqu’à louer par avance une paire de vieux trotteurs qui pouvaient encore faire leurs dix-huit milles, et, se levant de table avant les autres, il monta dans la légère voiture et partit.

La journée était délicieuse. Au-dessus de la mer miroitante, un léger vent du Nord faisait courir de petits nuages blancs dans un ciel outremer. Les rues étaient désertes ; Archer traversa rapidement la ville et longea la plage qui s’étend au delà. Même en menant doucement ses chevaux, il arriverait au haras avant trois heures. Il aurait le temps d’examiner le cheval, de l’essayer même, et il jouirait ensuite de quatre heures de liberté.

Il ne s’avouait pas qu’il désirait revoir Mme  Olenska : il croyait qu’elle profiterait probablement de l’occasion pour venir à Newport avec les Blenker voir sa grand’mère. Mais depuis qu’il l’avait aperçue dans le parc de Mrs Mingott, il était tourmenté du désir de connaître l’endroit où elle vivait. Ce désir le poursuivait, jour et nuit, indéfinissable, obsédant, comme l’idée fixe d’un malade qui veut manger d’une chose goûtée autrefois et depuis longtemps oubliée. Au delà de cette idée, il ne voyait rien, ne savait où elle le mènerait. Il ne sentait aucun désir de parler à Mme  Olenska, ni même d’entendre sa voix. Il voulait simplement emporter en lui la vision du ciel et de la mer qui l’encadraient : alors le reste du monde lui paraîtrait peut-être moins vide.

Arrivé au haras, il vit tout de suite que le cheval ne lui convenait pas. À trois heures, il remonta dans le buggy et prit le chemin de traverse, qui conduisait à Portsmouth.

Le vent était tombé et une vapeur légère, suspendue au-dessus de l’horizon, attendait le retour de la marée pour s’étendre sur l’estuaire. Tout autour de lui, une lumière d’or inondait les champs et les bois. Il passa devant ces maisons de bois entourées de vergers, devant des prés et des bouquets de