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tiroir et sur chaque liasse, une note détaillée, indiquant le contenu du tiroir et du paquet. Le cœur d’Odette bat à se rompre. Elle lit sur une de ces notes : « Papiers de famille, » et au terme d’une liste démesurément longue, ces deux mots qui lui brûlent les yeux : « Mon testament. »

Il était très court, ce testament, qu’Odette eut tôt fait de découvrir par-dessous les autres documents : extraits de naissance, lettres de part, actes notariés d’achat et de vente. La testatrice l’avait libellé sur une feuille de papier timbré qui portait cette date : 28 avril 1914. C’était le jour anniversaire de la mort de Guy de Sailhans, le propre frère de la malade et le père d’Odette, décédé en 1908, six ans auparavant. Ce 28 avril 1914, les Malhyver étaient priés au plus fastueux des bals costumés qui se multiplièrent ce printemps-là, comme si la haute société française d’alors subissait ce vertige de plaisir, avant-coureur des catastrophes. Odette se rappelait parfaitement être venue voir sa tante dans l’après-midi et l’accent amer de celle-ci pour lui dire : « Tu vas à ce bal, aujourd’hui ? » Elle avait feint de ne pas comprendre. Les lignes tracées par la main de la sœur du mort oublié disaient le résultat :


MON TESTAMENT

28 avril 1914.

Désireuse d’assurer le salut de mon âme par des aumônes et des prières et persuadée que ma fortune ne servirait qu’à finir de perdre mes héritiers naturels, déjà si exposés par leur genre de vie, je crois leur rendre service, et, encore une fois, assurer le salut de ma propre âme, en disposant comme je fais de la totalité des biens qui m’ont été transmis par mes ancêtres, tous gens de foi et à qui les mœurs du siècle actuel eussent été, comme à moi, un sujet de profonde douleur.

J’institue mon légataire universel Sa Grandeur Mgr l’évêque de Poitiers, d’où ma famille est originaire. Sa Grandeur emploiera cette fortune qui monte à près de cinq millions, non compris mon hôtel de la rue de l’Université, placés en valeurs de choix, à ses œuvres de charité. Sa Grandeur fera de l’hôtel l’usage qui lui semblera le meilleur. Je souhaiterais qu’Elle l’attribuât à des religieuses vouées au soin des malades. Je demande qu’Elle veuille bien, à chaque 28 avril, faire dire une messe dans