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eu un geste, un mot qui prouvât chez elle un effort quelconque pour s’associer aux émotions de son mari, et lui, recommençait de marcher d’une extrémité à l’autre de la chambre, en méditant :

« Comme nous sommes séparés ! Je ne l’ai jamais senti davantage. J’ai cru que cette émotion de ce soir l’ouvrirait, que nous serions à l’unisson. Rien, je n’ai rien éveillé en elle ! J’aurais dû lui parler de l’enfant, insister sur son éducation, sur notre devoir d’en faire un homme… Mais qu’est-ce qu’elle entend par éducation ? Une jolie tenue, de jolies manières, savoir entrer dans un salon en baisant la main des dames, quêter dans les mariages, bien danser. Quel néant ! C’est l’impression que j’ai depuis mon retour : le vide de son âme. Mais qu’y ai-je mis dans les premières années de notre mariage ? Me suis-je vraiment occupé d’elle, de ce qu’elle pensait, de ce qu’elle sentait ? Non. C’était la camarade, l’associée, comme j’aimais à dire, au scandale de notre monde, une liberté à côté de la mienne. C’est une autre tâche, cela, puisqu’elle est ma femme et la mère de mon fils, de la gagner, cette âme, de la reconstruire. Là-bas, ce serait possible, dans un tête-à-tête où je la reprendrais. Pour elle aussi, cette retraite est nécessaire. Elle n’a pas refusé nettement. Je trouverai bien le moyen de la persuader, surtout si ce malheur n’a pas lieu… »


PAUL BOURGET.