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Au sortir de table, je ne m’accorde que le temps de fumer une cigarette et je rentre vite à Pétersbourg.

Près de Poulkowo, je croise un régiment de tirailleurs de la Garde, qui part pour la frontière. Le général, commandant le régiment, reconnaît, à la livrée de mon chasseur, la voiture de l’ambassadeur de France ; il me dépêche un de ses officiers pour me prier de descendre, afin qu’il fasse défiler sa troupe devant moi.

Je mets pied à terre et je m’approche du général qui, se penchant du haut de son cheval, me donne l’accolade.

Sur un ordre bref, le régiment fait halte, les rangs se resserrent et s’alignent, la musique prend la tête de la colonne. Pendant ces préparatifs, le général me crie frénétiquement :

— Nous allons détruire ces sales Prussiens !… Il ne faut plus de Prusse, plus d’Allemagne !… Guillaume à Sainte-Hélène !…

Le défilé commence. Les hommes ont l’air solide et fier. À chaque compagnie qui passe, le général se dresse sur ses étriers et commande :

Franzouski Pasol ! L’ambassadeur de France ! Hourrah ! Les soldats répètent à plein gosier :

— Hourrah ! Hourrah !

Quand le dernier rang a passé, le général se penche une fois encore vers moi pour m’embrasser et me dit d’un ton grave :

— Je suis heureux de vous avoir rencontré, Monsieur l’ambassadeur. Tous mes hommes comprendront comme moi que c’est un bon présage d’avoir rencontré la France, à notre première étape.

Là-dessus, il part au galop pour rejoindre la tête du régiment et, tandis que je remonte en voiture, il me lance de loin son cri de guerre :

— Guillaume à Sainte-Hélène !… Guillaume à Sainte-Hélène !…

À quatre heures, j’ai une longue conversation avec mon collègue d’Italie, le marquis Carlotti de Riparbella ; je m’efforce de lui démontrer que la crise actuelle offre à son pays une occasion inespérée de réaliser ses aspirations nationales :

— Quelle que soit, dis-je, ma certitude personnelle, je n’ai pas la présomption de vous garantir que les armées et les flottes de la Triple-Entente seront victorieuses. Mais ce que j’ai le droit de vous affirmer, surtout après mon entretien d’hier avec