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entrailles de la terre et traduisent ses convulsions antiques et les lois de son architecture. Dans l’enthousiasme d’une fraternité généreuse, dans l’ardeur héroïque d’une lutte qu’illuminait une splendide vision de justice et de fraternité, on avait quelque peu oublié qu’en politique les intérêts ont voix prépondérante et qu’un effort de tous les instants et de toutes les volontés est nécessaire, non pour les faire taire, mais pour les concilier. Ces inévitables malentendus ont retenti douloureusement dans les cœurs, de chaque côté du Détroit ; car on se tromperait dangereusement si l’on croyait, en France, que la majorité des Anglais partage les opinions de M. Keynes, — et d’ailleurs peut-être M. Keynes lui-même est-il persuadé qu’il est un ami, de la France et agit comme tel, — et approuve tous les actes dii gouvernement de M. Lloyd George ; et l’on ne commettrait pas une moins lourde erreur si l’on pensait, en Angleterre, qu’il existe chez notre peuple, — encore qu’il soit plus sentimental et plus sensible, — un ressentiment durable des griefs qu’il croit avoir envers son « camarade de combat. » Le sang versé sur les champs de bataille est plus épais que l’eau du Canal.

Heureusement les actes humains ne sont pas déterminés comme les phénomènes de la nature ; l’histoire n’a pas la rigidité de la géologie et ce que nous appelons ses lois n’est souvent que l’effet accumulé de volontés concordantes ; l’histoire, la géographie, les besoins économiques ne déterminent pas les volontés, ils les inclinent ; un champ immense reste ouvert à l’activité libre des énergies individuelles ou collectives. Il est donc avant tout nécessaire d’établir d’où viennent et comment s’expliquent les divergences d’intérêts dont l’opinion des deux pays constate avec chagrin les effets. Ainsi apparaîtront mieux la valeur et le poids des raisons dominantes qui commandent aux deux nations l’entente et la solidarité. Ces raisons, que le sûr instinct des peuples devine, il appartient aux hommes d’Etat de les confronter et de les peser pour en établir la valeur relative et, pourrait-on dire, de les hiérarchiser, afin de subordonner l’accessoire au principal et de dresser le bilan des concessions que, de chaque côté, il est possible de faire et désirable d’obtenir. C’est, en politique, la condition même de toute bonne et solide entente.

Lord Derby, hier encore ambassadeur à Paris, entreprend une généreuse campagne pour démontrer à ses compatriotes les