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ture bleu de ciel de May Archer. La différence était symbolique : l’âme de la mère avait été pareillement enfermée dans une armature aussi rigide que sa fine taille. Il y avait du bon aussi dans le nouvel ordre des choses.

L’appel du téléphone se fit entendre. Comme on était loin du temps où toute communication rapide à New-York se faisait par les jambes des petits messenger boys à livrée bleue ! « Chicago vous demande. » Ah ! ce devait être un message de Dallas. Il avait été envoyé à Chicago pour étudier le plan d’un palais que sa maison construisait pour un jeune millionnaire à idées. Les missions de ce genre étaient toujours confiées à Dallas.

— Allô ! père. Voulez-vous vous embarquer avec moi mercredi sur le Mauretania ? Notre client veut que je visite quelques jardins italiens avant de rien décider ; et vous savez, je dois être rentré le 1er juin.

Il éclata d’un rire joyeux. « Quoi qu’il arrive, semblait dire ce rire, je dois être de retour le premier, puisque Fanny Beaufort et moi devons nous marier le cinq. »

La voix reprit :

— Réfléchir ? Pas une minute ! Dites tout de suite !… Avez-vous une raison de refuser ? Non. J’en étais sûr. Alors, ça va ? Dites, père, ce sera la dernière fois que nous voyagerons tous les deux, comme autrefois. Allons ! bien ! J’étais sûr que vous viendriez.

Chicago coupa. Archer se leva et arpenta la chambre.

La dernière fois qu’ils seraient ensemble tous les deux comme autrefois !… L’enfant avait raison. Sans doute, ils seraient ensemble bien souvent après le mariage de Dallas. Ils avaient toujours été camarades, et Fanny Beaufort, quoi qu’on pût dire d’elle, ne paraissait pas disposée à gêner leur intimité. Cependant, — il fallait se l’avouer, — et, malgré sa sympathie pour sa future belle-fille, c’était tentant pour Archer de saisir cette dernière occasion de se trouver seul avec son fils. Rien ne le retenait. Seulement il avait perdu l’habitude de voyager. May ne s’était jamais déplacée que pour des raisons sérieuses : mener les enfants dans la montagne ou au bord de la mer. Depuis deux ans que May était morte, Archer n’avait aucune raison de continuer sa vie sédentaire ; mais il s’était trouvé retenu par l’habitude, les souvenirs, et par une certaine appréhension de ce qui était nouveau.