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d’autrefois n’étaient point sottes et, si elles ne prétendaient pas devenir médecins, ni avocats, ni portefaix dans les gares, elles n’avaient pas moins d’agrément que, mettons, Sidonie, à ce qu’il semble.

Mme Colette Yver nous invite à relire deux romans profonds et charmants de M. René Boylesve, La jeune fille bien élevée et Madeleine jeune femme. Cette Madeleine que l’on a si bien élevée selon les anciennes méthodes, vous avez beau sourire de ces méthodes surannées, Madeleine devient une jeune femme délicieuse.

Oui ! répond Mme Colette Yver ; mais supposez que Madeleine soit restée fille : écrivez ce troisième roman, s’il vous plait, Madeleine vieille fille !

Un partisan résolu de l’ancienne éducation répliquera que l’éducation des filles a pour objet de préparer des femmes, non de vieilles filles, et que, si Madeleine ne se marie pas, c’est un accident. La règle n’est pas faite pour l’accident.

Bien ! Mais l’accident qui n’arrive point à Madeleine arrive à un grand nombre de filles. Voyez un peu les statistiques. Les statistiques prouvent ceci : « L’excédent des existences féminines sur les masculines. Je dis existences, et non pas naissances. Contrairement à ce que l’on croit, il naît plus de garçons que de filles ; mais, dès la vingtième année, la mortalité devenant plus élevée chez l’homme, il en résulte que le nombre des femmes dépasse de beaucoup celui des hommes. Au dernier recensement, celui de 1911, pour 5 921 000 habitants mâles entre vingt et trente-neuf ans, on en avait 6 007 000 du sexe féminin d’âge équivalent. »

Voilà près de cent mille jeunes filles ou demoiselles qui ne trouveront pas d’époux. Ajoutez que, chez nous, c’est l’homme qui prend l’initiative du mariage et qui choisit sa compagne : est-ce l’embarras de choisir ? quelquefois, très souvent même, il n’en choisit aucune. En fin de compte, Mme Colette Yver estime qu’à notre époque il se marie environ les trois quarts, à peine les trois quarts, des filles de la bourgeoisie.

Alors, ce que vous appeliez un accident, le célibat des filles, cesse au moins de vous apparaître comme un accident si rare que l’on n’ait point à y songer. Votre fine et superfine éducation des filles, destinée à nous fabriquer les meilleures épouses, ne suffit plus, si elle néglige un quart, un bon quart, de vos élèves.

Notez, sans avoir l’air de l’apprendre avec étonnement, que les conditions de la vie sont devenues, ces derniers temps, plus difficiles