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Samedi, 29 août.

La bataille engagée à Soldau se poursuit, avec acharnement. Quel que doive être le résultat final, c’est déjà beaucoup que la lutte se prolonge, afin que les armées anglaises et françaises aient le temps de se reformer en arrière pour se reporter en avant.

Les armées russes du Sud sont à 40 kilomètres de Lemberg.


Dimanche, 30 août.

Ce matin, lorsque j’entre dans le cabinet de Sazonow, je suis frappé de son air sombre et tendu :

— Quoi de neuf ? lui dis-je.

— Rien de bon.

— Cela ne va pas en France ?

— Les Allemands approchent de Paris.

— Oui ; mais nos armées sont intactes et leur moral est excellent. J’attends avec confiance leur volte-face… Et la bataille de Soldau ?

Il se tait, en pinçant les lèvres, le regard sinistre. Je reprends :

— Un échec ?

— Un grand malheur… Mais je n’ai pas le droit de vous en parler. Le Grand-Duc Nicolas ne veut pas que la nouvelle soit connue avant quelques jours. Elle ne se répandra que trop tôt et trop vite ; car nos pertes sont effroyables.

Je lui demande quelques détails. Il m’affirme n’avoir aucun renseignement précis :

— L’armée de Samsonow est détruite. C’est tout ce que je sais.

Après un silence, il poursuit, d’un ton simple :

— Nous devions ce sacrifice à la France, qui s’est montrée une si parfaite alliée.

Je le remercie de cette pensée. Puis, malgré le poids très lourd que nous avons l’un et l’autre sur le cœur, nous passons à l’examen des affaires courantes.

En ville, personne ne se doute encore du désastre de Soldau. Mais la retraite ininterrompue de l’armée française et la marche rapide des Allemands sur Paris provoquent, dans le public, les