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Malgré sa déconvenue, elle écrivit à l’Empereur pour obtenir d’avance la grâce du meurtrier. Mais le public apprenait presque en même temps sa visite à la prison Taganka. Les versions les plus étranges, les plus romanesques, circulaient : elles affirmaient toutes que Kalaïew avait consenti à demander sa grâce.

Quelques jours plus tard, elle reçut du prisonnier une lettre dont voici approximativement la teneur : Vous avez abusé de ma position. Je ne vous ai manifesté aucun repentir, car je n’en éprouve aucun. Si j’ai consenti à vous écouter, c’est que j’ai vu en vous la veuve misérable d’un homme que j’ai tué. J’ai eu pitié de votre malheur, rien de plus. L’explication qu’on donne de notre entrevue me déshonore. Je ne veux pas de la grâce que vous sollicitez pour moi

Le procès suivit son cours ; l’instruction fut beaucoup allongée par la recherche vaine des complices, dont le principal était Boris Savinkow. Dans le courant du mois de mai, Kalaïew fut condamné à mort.

Le lendemain, le ministre de la Justice, Serge Manoukhine, faisant son rapport à l’Empereur, lui demanda s’il avait l’intention de commuer la peine de Kalaïew, ainsi que la Grande-Duchesse Élisabeth l’en avait prié. Nicolas II garda le silence ; puis, négligemment, il laissa tomber ces mots : « Vous n’avez rien d’autre dans votre portefeuille, Serge Serguéïéwitch ? » Et il le congédia. Mais il fit aussitôt mander le directeur du Département de la police, Kowalensky, et lui donna un ordre secret.

Kalaïew fut alors transféré de Moscou à la forteresse de Schlüsselbourg, la fameuse prison d’État. Le 23 mai, à 11 heures du soir, le Procureur impérial Féodorow, qui avait conduit l’instruction du procès, entra dans la cellule du condamné, qu’il avait connu autrefois comme étudiant, et lui déclara : « Je suis autorisé à vous dire que, si vous demandez votre grâce, Sa Majesté l’Empereur daignera vous l’accorder. » Kalaïew répondit, avec une calme fermeté : « Non, je veux mourir pour ma cause. » Féodorow insista de toutes ses forces, avec beaucoup d’élévation et d’humanité. Kalaïew pleurait, mais ne désarmait pas ; il finit par dire : « Puisque vous me témoignez tant de miséricorde, laissez-moi écrire à ma mère. — Soit ! Ecrivez-lui. Je lui ferai parvenir votre lettre immédiatement. » Lorsque le prisonnier eut achevé d’écrire, Féodorow fit un suprême effort de persuasion. Concentrant toute son énergie