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in-folio qui porte au dos : Religion E, et deux massifs petits in-octavos, intitulés : Mélanges A et B, dans chacun desquels la rubrique Religion occupe un certain nombre de pages ; et nous avons eu sous les yeux la copie du journal manuscrit où Maistre, à partir de 1790, notait grands et petits événements de sa vie. Ces pages qu’il écrivait pour lui seul nous ont invité à la suivre jusqu’au pied de l’autel, à le voir s’agenouiller, communier. Mais une chemise nous était montrée, qui, sous le titre : Illuminés, rassemblait un certain nombre de documents, remontant pour la plupart à la période d’avant la Révolution : ils nous faisaient pénétrer dans le monde des loges ; à leur lumière, nous pouvions constater les rapports de Maistre avec cette souveraineté maçonnique qu’était le duc de Brunswick, étudier ses idées personnelles sur le rôle de la maçonnerie, et saisir, plus tard, dans un long Mémoire adressé à Vignet des Etoles, les souvenirs qu’il gardait de la « frérie » maçonnique. Par un paradoxe que Maistre aurait aimé, ce dossier d’illuminisme nous apportait la preuve décisive qu’en aucune période de sa vie l’attachement intime de Maistre à la révélation chrétienne ne s’était démenti. En toutes ses étapes et dans toutes ses nuances, la religion de Maistre nous devenait plus accessible : derrière l’auteur, nous touchions l’homme, et, dans l’homme, le croyant.


I. — AU LIT DE MORT D’UNE MÈRE : PLAIDOYER POUR LA PROVIDENCE. — LES HEURTS DE L’ESPRIT DU SIÈCLE CONTRE L’ESPRIT DE TRADITION.

C’est au lit de mort de sa mère, en juillet 1774, que, pour la première fois, nous entrevoyons, à l’épreuve, la religion de Maistre. On peut avoir foi dans les actes qui coïncident avec des heures de souffrance : l’âme alors, dénudée parce que déchirée, ne se ment point à elle-même, ni à autrui, ni à Dieu. Maistre, devant la dépouille maternelle, fit ses débuts comme avocat d’office de la Providence. Un ami, le chevalier Roze, nous a décrit l’émouvante turbulence de ce deuil de famille, en termes qui nous rappellent que nous sommes au siècle de Greuze. Voilà M. Maistre, le président, « couché en désordre sur un canapé, » et cinq de ses dix enfants, autour de lui, « poussant des cris perçants, » et Jozon, — c’est notre Maistre, — « se jetant sur le corps de son père, cherchant à le consoler. » Une des filles, Jeannette, faisait contre le Ciel des imprécations que Roze trouvait