D’un tout autre côté on me signale quelques indices d’un affaiblissement de la Triplice. L’Italie aurait assez de ce jeu ruineux : l’Allemagne sceptique à l’égard de la résistance de cette armée et de ces finances, ferait de moins en moins fond sur leur concours éventuel, et l’Italie désabusée songerait à se rapprocher de nous. M. Billot, notre ambassadeur au Quirinal, y travaille du moins activement ; j’en ai eu le discret écho dans l’audience qu’il a bien voulu me donner, averti par son fidèle Cogordan. Je dois dire que ces symptômes ne disent rien de bon à beaucoup des nôtres qui concluent, en haussant les épaules : « Allons donc ! c’est toujours le même et double jeu, l’Italie fait risette à notre argent et à notre crédit, tout en comptant bien n’en pas moins conserver l’appui de la solide armée allemande ; ne nous y laissons pas prendre. »
J’ai eu l’impression très vive que depuis dix ans les épreuves ont épuré et fortifié le christianisme à Rome. Dans la forte main de la papauté, cette puissance morale et sociale reste toujours la première du monde, et bien imprévoyants ceux qui n’en veulent pas tenir compte. Qui sait si, sans toucher en rien à ce qu’elle a d’essentiel, elle ne se transformera pas dans ses manifestations extérieures, ses exigences rituelles et ses rigueurs dogmatiques, de façon à devenir acceptable pour tant de bonnes volontés que les absolutismes actuels en maintiennent éloignés ?
Quelles perspectives ouvertes le jour où la vieille maison consentirait à rajeunir son intérieur, à renouveler son mobilier et à se faire habitable ! Tout espoir n’est pas perdu, car l’américanisme triomphe encore ici et j’affirme qu’on y est plus près, pour le moment du moins, de Monseigneur Ireland que du chanoine de Salerne. Mais cela durera-t-il toujours ?
Florence, le 24 juin.
Il faudrait toujours revenir d’Athènes par Florence, — les deux villes sœurs, ou plutôt, celle-ci fille et fille unique de celle-là : et, en voyant cette fille vivante et belle, on ressuscite la mère dont il ne reste que l’image à demi effacée. Ce que l’histoire, la tradition, les ruines vous suggèrent là-bas, est ici réalisé. Les temps et les costumes différent, l’esprit est le même. Ce que furent là-bas Phidias et Eschyle, Michel-Ange et Dante le furent ici. Où y a-t-il au monde une autre ville où l’art soit partout, et non pas sous forme de ruines, de fragments