de nous sommeille de mysticisme, soit comme les Antiques en idéalisant la vie et la beauté, les Panathénées, l’Hermès, soit comme les Primitifs encore et les Flamands et les Modernes en rendant la vie vue avec la plus intense réalité. Les maîtres vénitiens du XVIe siècle avaient perdu l’émotion religieuse, mais la convention les forçait à peindre de la religion ou de la mythologie : c’était un laisser-passer : dès qu’ils en sortaient, ils se retrouvaient. Et je continue : dans la salle du Collège, voici un grand tableau fait sur commande en action de grâces de Lépante : le doge Venier et Venise sont aux pieds de sainte Justine, de saint Marc et du Christ dans sa gloire. Analysons : c’est une réception de la reine d’Angleterre de l’époque ; la reine (sainte Justine) somptueuse sur son trône a derrière elle son chancelier, un Salisbury quelconque (saint Marc.) Le doge incliné présente au premier baise-main de l’année, sa jeune belle-fille en toilette de cour qui fait la révérence (Venise) et si l’on ne veut voir là qu’une scène réelle de l’époque, prise sur le vif, on est sous le charme. Quels costumes, quelle vie, quelle couleur ! Malheureusement, la convention a voulu que l’estampille mystique y fût, et derrière la reine, un pied sur le dos de son fauteuil, un jeune homme bien peigné, tout nu sous un peignoir vert, tient à la main une sphère de jade, surmontée d’une croix, joyau royal ciselé par quelque Benvenuto. C’est le Christ. Mais ne voyons plus que la scène réelle et alors, nous demandons-nous, pourquoi le chancelier ne fait-il pas expulser ce jeune seigneur halluciné qui s’est introduit au drawing de la Reine sans s’être habillé et s’y promène tout nu avec ce bibelot ?
En face au contraire, un grand panneau de Bassan encore, l’Entrevue du Doge et du pape Alexandre III après la défaite de Barberousse. Plus d’allégorie, plus de Sainte Vierge de convention, une grande belle scène réelle, somptueuse et vivante, à la manière des grands Flamands, à la manière des Arquebusiers, des Archers, des Franz Hals et des Van Der Helst. Ici c’est la joie sans mélange.
Conclusion : si vous voulez que la postérité, la tête dans la main, rêve devant votre œuvre et si vous ne croyez plus aux choses, ne les peignez plus : faites ce que vous voyez, ce que vous sentez, ce à quoi vous croyez toujours, et c’est pour ne pas l’avoir compris qu’avec toute la maîtrise du monde, de 1550 à 1750, on a certes fait de superbes machines, mais sans rien