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Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/841

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route qui me conduisit à Bou-el-Djad. Depuis Fàs, la dispute ne cessa pas ; deux motifs la faisaient renaître chaque jour : Mardochée ne voulait pas suivre l’itinéraire que j’avais fixé, et il voulait voyager lentement ; j’étais décidé, au contraire, à exécuter exactement mon plan primitif, et je tenais à marcher sans perte de temps. Sur le premier point, je ne cédai jamais à partir de Fàs, et mon itinéraire s’exécuta selon ma volonté. Sur le second point je n’eus pas le même succès, et, malgré mes reproches, nous avançâmes avec une grande lenteur jusqu’à mon départ de Tisint pour Mogador ; si la fin de mon voyage s’exécuta plus vite, c’est que je promis à Mardochée une gratification, si nous étions à Lalla Marnia le 25 mai. — Entre ces deux parties de mon voyage, je faillis me séparer de Mardochée. Lorsque j’allai à Mogador, je le laissai à Tisint, et partis avec un Musulman, le Hadj Bou Rhim, excellent homme dont je ne puis assez me louer ; je voyageai avec lui du 9 janvier au 31 mars 1884 ; de retour à Tisint, je lui proposai de remplacer Mardochée et de m’accompagner jusqu’en Algérie ; il avait accepté, et j’avais déjà donné à Mardochée son certificat et la somme nécessaire pour regagner Alger, quand un obstacle empêcha le Hadj Bou Rhim de partir. Je repris Mardochée, qui en fut trop heureux.

« Si j’eus à me plaindre de la mauvaise volonté de Mardochée, il est juste de dire qu’elle ne fut inspirée par aucune intention désobligeante à mon égard : la crainte du péril causa son opposition à mon itinéraire ; l’amour du repos et l’intérêt qu’il avait à prolonger des services payés au mois entretinrent sa lenteur. »

Après son retour du Maroc en 1884, Mardochée ne sortit plus d’Alger. Retiré dans sa maison, il fut repris par sa vieille passion de l’alchimie. Trouver de l’or ! Avec celui qu’il avait reçu en paiement, il acheta du mercure, pour ses expériences de transmutation des métaux. Et comme il demeurait, tout le jour, penché sur ses creusets, les vapeurs mercurielles, sans bien tarder, empoisonnèrent ce dernier des alchimistes.

Si la Reconnaissance au Maroc est presque muette sur le compte de Mardochée, les lettres intimes écrites par l’explorateur ne le sont pas. Je dois dire qu’elles parlent du rabbin sans grand ménagement, et que les notes vont decrescendo. La chute est curieuse à suivre. Foucauld écrit le 17 juin 1883, peu