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audiences, tant de soin de notre installation, étaient des faveurs extraordinaires.

« Le lendemain de mon arrivée, je reçois la visite d’un fils de Sidi Omar, Sidi El Hadj Edris ; c’est un jeune homme de vingt-cinq ans, très beau, bien que mulâtre ; il est grand, bien pris, ses mouvements sont souples et gracieux, sa figure intelligente, vive et gaie ; le titre de hadj, de l’esprit, de l’instruction, une belle mine, ont fait de lui un des membres les plus considérés de la famille de Sidi Ben Daoud. Il vient, dit-il, voir si nous ne manquons de rien ; trois ou quatre musulmans l’accompagnent ; on cause une demi-heure de choses et d’autres, nos visiteurs montrant une affabilité extrême ; en nous quittant, S. Edris demande si nous avons vu les rabbins de Bou el Djad. « Pas encore. — Qu’ils viennent ou ne viennent pas, que vous restiez ici plusieurs jours ou plusieurs mois, soyez les bienvenus mille fois ! » Que signifient de telles prévenances, sans exemple pour des Juifs ? Je ne tardai pas à le comprendre. Deux choses furent remarquables pendant les quatre jours suivants : d’une part, les fréquentes visites, l’excessive amabilité des parents du Sid, qui s’efforçaient de me mettre en confiance et de me faire parler ; de l’autre, un espionnage ouvert des Juifs, qui surveillaient mes moindres démarches, mettaient le nez sur mon calepin dès que je voulais écrire, se jetaient sur mon thermomètre aussitôt que je le touchais, étaient grossiers et insupportables... Ces deux procédés étaient trop accentués pour que la cause ne s’en devinât pas : quelque indice avait dû faire soupçonner à Sidi Ben Daoud, ou à son fils Sidi Omar, ma qualité de chrétien : pour s’éclairer, les marabouts avaient résolu de me faire espionner par les Juifs, et en même temps de m’examiner eux-mêmes ; il était évident que depuis quatre jours on poursuivait cette recherche.

« Le 11 septembre, sixième jour de mon arrivée, un esclave de Sidi Edris entre chez moi, dans la matinée, et me dit de le suivre avec Mardochée chez son maître. Il nous introduit dans une maison de la zaouïa ; nous nous attendons à de nouvelles questions : point ; aussitôt que nous sommes assis, on apporte à déjeuner. Thé, pâtisseries, beurre, œufs, café, amandes, raisins, figues, sont placés sur des plateaux éblouissants ; S. Edris m’offre de la limonade, et s’excuse de n’avoir ni couteaux ni fourchettes ; il mange avec nous, ce qui est une faveur inouïe, et,