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Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/113

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qu’ils me croyaient chrétien ; — il leur a répondu qu’ils étaient des ânes, et que les Juifs d’Alger et de France étaient différents des Juifs de ce pays [1].

« Le 17 septembre, S. Edris, Mardochée et moi quittions Bou el Djad. Le 20, nous arrivions à Qaçba Beni Mellal. Le 23, S. Edris nous faisait ses adieux, et reprenait le chemin de sa zaouïa. Je ne puis dire ce qu’il fut pour moi pendant les jours que nous voyageâmes ensemble ; durant les marches, il plaçait sa monture près de la mienne, et me donnait des explications sur tout ce que nous parcourions, rencontrions, apercevions. Voulais-je dessiner ? il s’arrêtait ; de son propre mouvement, il choisit toujours les chemins les plus intéressants et non les plus courts. Nous arrêtions-nous dans un lieu ? il me prenait par la main, et me conduisait voir toutes les choses curieuses ; il faisait plus : comme la demeure où il recevait l’hospitalité se remplissait, dès son arrivée, d’une foule venue pour lui baiser la main, ce grand marabout cachait, dans ses larges vêtements, une partie de mes instruments, pendant que je portais l’autre, et me menait en un lieu écarté faire mes observations ; là, il montait la garde auprès de moi, pour empêcher qu’on ne me surprît. Que de courses nous fîmes ensemble aux environs de Qaçba Beni Mellal ! Je m’arrêtais pour dessiner, il s’asseyait à côté de moi, et sa conversation m’apprenait une foule de choses. Tout ce que je sais sur la zaouïa de Bou el Djad, la famille de Sidi Ben Daoud, les populations du Tâdla, vient de lui ; de lui sont presque tous les renseignements imprimés dans ce volume de la page 259 à la page 267, sur le bassin de l’Ouad Oumm er Rebia ; lui encore dicta ce qu’on lit, de la page 65 à la page 67, sur la campagne du Sultan dans le Tâdla en 1883 ; il avait suivi l’expédition de Marrakech à Meris et Biod comme représentant de Sidi Ben

  1. J’ai trouvé dans les papiers de Charles de Foucauld, cette note à propos de l’incident qu’il relate ici :
    « Mardochée ne sut jamais que j’avais découvert à Sidi Edris ma qualité de chrétien et le but de mon voyage ; une haine instinctive plus qu’une prudence raisonnée le tenait en défiance contre tout musulman, et il se serait cru perdu s’il m’avait cru capable de me confier à un mahométan. Je ne révélai qui j’étais et ce que je faisais qu’à quatre personnes au Maroc : Samuel Ben Simhoun, israélite de Fâs ; le Hadj Bou Rhim, musulman de Tisint, qui fut pour moi un véritable ami ; Sidi Edris et un juif de Debdou. Aux deux Israélites, Mardochée et moi fîmes la confidence ensemble, d’un commun accord. Aux deux musulmans, je la fis seul, et Mardochée l’ignora toujours. Tous les quatre gardèrent mon secret avec religion, me rendirent mille services, et il ne me reste qu’à me féliciter de m’être confié à eux, et à leur conserver une vive reconnaissance. »