comme père et mère : élevé dans ce milieu que l’art épouvante à la manière d’une réprobation, il en conserve les préjugés, alors même qu’il en a secoué la discipline. Il croit devoir à son art de vivre en artiste. Amant d’une actrice, qu’il fait à l’occasion passer pour sa cuisinière, il repousse jusqu’à l’idée de fonder un foyer régulier. Il tire vanité de scandaliser les simples. Il ne doute d’ailleurs pas que son destin l’appelle à révolutionner le monde. Comme sa mère gémit : « Est-il possible que ce tissu d’infamies sorte d’une âme créée par la mienne ? Qu’est devenu mon enfant ? » il répond, avec une grande naïveté dans l’infatuation : « Maman, les mères de tous les hommes qui ont secoué l’humanité d’un frisson nouveau, ont poussé le même cri de détresse devant le monstre arraché à leurs entrailles. » L’écrivain tenu pour un être d’exception, condamné à mener une vie hors de l’ordre commun, et victime de son propre génie… vous voyez dans quelle catégorie se range Félix Dagrenat. George Sand disait : « Fabriquons des monstres ! »
Seulement, à l’encontre de beaucoup de romantiques, Félix Dagrenat est très intelligent. Il est un très clairvoyant critique de lui-même. Il constate que son succès n’est pas complet : il a pour lui les raffinés, il n’a pas le grand public. D’autres traiteraient le public d’imbécile ; lui, il se replie sur lui-même, cherche le défaut de son œuvre et le marque d’un doigt sûr. « Je suis épouvanté du peu de sympathies que je rencontre… Les artistes me portent aux nues, les foules m’ignorent… Jamais je ne reçois, comme certains de mes confrères, beaucoup moins haut perchés, l’hommage d’un enthousiasme naïf… J’amuse les intelligences, je ne touche pas les cœurs. Un théâtre dont on dit cela est condamné à mort. » Parole profonde. Admirable leçon de critique. Et combien il est intéressant qu’elle nous vienne d’un auteur dramatique ! Sachons-le bien, en effet, c’est à l’homme tout entier que s’adressent les chefs-d’œuvre de la littérature ; ils parlent à sa sensibilité et à son imagination, en même temps qu’à sa raison : l’art ne doit pas dissocier ce que la nature a uni.
Or si son œuvre est originale, curieuse, brillante, hardie, Félix Dagrenat se rend compte qu’elle n’est pas assez humaine. Son génie ne plonge pas aux racines de l’humanité. Il ignore ce qui fait battre le cœur de tous les hommes. Il est étranger aux préoccupations communes, aux soucis où tous se rejoignent. C’est pourquoi « ceux qui ont une existence normale et qui vivent en famille ne le comprennent pas. » Une fois la lacune reconnue, Dagrenat décide d’y