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Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/213

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le Lendemain d’un grand soir, contient des passages qu’un anarchiste pourra débiter dans les réunions publiques, et des tirades qui exaltent l’aristocratie. Il se vante de s’intéresser aux idées, non pour leur contenu intellectuel, mais pour les orages qu’elles soulèvent dans les âmes. Il fait profession de n’aimer les idées que pour leur puissance incendiaire. Et il n’a pas l’air de se douter qu’allumer un incendie pour se donner le plaisir d’y assister en spectateur, est une perversité de l’esprit ! Certes, l’auteur dramatique n’a pas qualité pour résoudre les problèmes qu’il porte à la scène. Nous ne lui demandons pas de soutenir une thèse. Encore la pièce ne doit-elle pas laisser une impression confuse et tumultueuse, sous peine de nous donner à soupçonner que l’auteur est de cerveau confus et de pensée chaotique. Éveiller la curiosité et se dérober au moment de la satisfaire, est un jeu cruel qui irrite les spectateurs de bonne foi. Dagrenat continue de s’y livrer. Décidément, sa paternité n’a pas beaucoup influé sur sa littérature.

Deuxième étape. Douze années encore se sont passées. Célèbre et vieilli, Félix Dagrenat hésite à donner une nouvelle pièce au théâtre. Il est dans cet état d’esprit, si bien décrit tour à tour par Alexandre Dumas fils et par Emile Augier, celui de l’auteur dramatique qui ne se sent plus en accord avec le public et craint de livrer bataille avec des armes hors d’usage. Coup sur coup, il lit la pièce d’un débutant qui est une manière de chef-d’œuvre, et il apprend que ce débutant est son propre fils. Son premier mouvement est la jalousie. Voilà donc le résultat de son machiavélisme : « J’ai voulu un fils pour me donner du génie, et c’est ce fils qui l’a pris ! » L’ironie de cette situation commence par l’affliger. Il y goûtera quelque jour un acre plaisir : observateur sarcastique, il est homme à savourer l’amère dérision d’une épreuve qui se retourne contre lui.

Au troisième acte, il arrive ce que, depuis quelque temps, nous prévoyions. Dans l’imprudence de sa piété filiale, Dagrenat fils a voulu que sa pièce fit affiche avec celle de son père : ce sera la soirée des deux Dagrenat, Rapprochement désastreux : il ne sert qu’à faire ressortir le succès du fils et l’échec du père. Car la Comédie du génie, — c’est le titre de la pièce de Dagrenat père, — est écoutée dans ce silence respectueux et morne, plus cruel que les sifflets à l’amour-propre d’un auteur abandonné par le public. Rappelez-vous l’admirable et mélancolique Préface de l’Étrangère. Lui aussi, Dagrenat a voulu trop demander au théâtre ; il y a mis trop de pensée ; il en a forcé les moyens et faussé le genre : « Un auteur qui se donne la tâche