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Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/233

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Chronique - 30 juin 1921

CHRONIQUE DE LA QUINZAINE [1]

En suivant ces jours-ci, par une froide matinée de printemps, le cortège funèbre de M. Antonin Dubost, je me rappelais avec émotion tant de cérémonies tristes ou joyeuses où nous nous étions trouvés côte à côte pendant sept ans. M. Crozier, qui a été, avant M. Mollard et M. William Martin, le chef du protocole républicain, m’a dit, un jour, à quelle date et par qui avait été institué l’usage d’encadrer, dans toutes les occasions solennelles, le chef de l’État entre les deux présidents des assemblées parlementaires. J’ai oublié ce point d’histoire ; mais le fait est qu’aujourd’hui, dans la plus grande partie de son rôle représentatif, le Président de la République ne se montre guère qu’accompagné de deux satellites. Avant la guerre, j’avais eu ainsi le plaisir de rencontrer M. Dubost aux revues, aux courses, aux inaugurations, aux réceptions de souverains étrangers. Mais les propos que nous avions échangés, pour affectueux qu’ils fussent, n’avaient pas, je l’avoue, laissé dans ma mémoire des traces bien profondes. Je savais que M. Dubost était un esprit très cultivé, qu’il lisait beaucoup, qu’entre deux séances du Sénat, il dévorait les revues et les livres d’histoire. Je n’ignorais pas qu’il se piquait de philosophie et qu’il se flattait d’être un fidèle disciple d’Auguste Comte. Mais pourquoi ne pas l’avouer ? Son érudition me semblait parfois un peu envahissante et son positivisme un peu intransigeant. Il m’arrivait même de maudire l’une et de railler l’autre. Il faut que j’en fasse la confession : je fréquentais M. Antonin Dubost depuis près de trente ans et cependant, avant le mois d’août 1914, je ne le connaissais pas.

La guerre l’a transfiguré. Patriote ardent, il n’a plus songé qu’à la victoire. Il n’a pas eu une heure de doute ou d’hésitation. Dans les journées les plus sombres, il a gardé intacte sa foi en la France. Elles

  1. Copyright by Raymond Poincaré, 1921.