la réforme ne fait que s’ébaucher. Pour les Etats-Unis, dont l’exemple a tant d’autorité sur ceux qui, chez nous, veulent tout américaniser, il y aurait beaucoup à dire : dans certaines régions la différence des classes est peu marquée, l’ouvrier lui-même étant fortuné. Nous marchons sans doute vers cette égalisation des conditions qui triomphera de bien des préjugés. Mais il faut encore un peu de patience. Dans d’autres régions au contraire, le riche Américain envoie ses enfants, surtout ses filles, dans des écoles privées. — De meilleurs arguments sont tirés de la tradition révolutionnaire française. L’idée de l’école unique vient de Condorcet. Et personne ne dira mieux que ce que Michelet écrivait en 1846. Il faut se remettre sous les yeux le séduisant tableau qu’il dessine : « Que je voudrais, s’il faut que l’inégalité subsiste entre les hommes, qu’au moins l’enfance pût suivre un moment son instinct, et vivre dans l’égalité ! que ces petits hommes de Dieu, innocents, sans envie, nous conservassent dans l’école le touchant idéal de la société !... La patrie apparaîtrait là, jeune et charmante, dans sa variété à la fois et dans sa concorde. Ce serait une grande chose que tous les fils d’un même peuple réunis ainsi, au moins pour quelque temps, sévissent et se connussent avant les vices de la pauvreté et de la richesse, avant l’égoïsme et l’envie. L’enfant y recevrait une impression ineffaçable de la patrie, la trouvant dans l’école non seulement comme étude et enseignement, mais comme patrie vivante, une patrie enfant, semblable à lui, une cité meilleure avant la cité, cité d’égalité, où tous seraient assis au même banquet spirituel. »
Il faut quelque courage, en face d’une pareille page, pour oser discuter. On se dit cependant que c’est trop beau et que la réalité aura peine à ressembler à cet idéal. Est-on sur des sentiments variés et complexes que certains voisinages feront naitre, si on est sûr d’autre part que, dans la foule enfantine, cela sera imité qui justement ne devrait pas l’être ? Ces contacts prématurés, outre qu’ils flétriront des délicatesses morales qui avaient fleuri à l’abri de certains foyers, comme dans des serres chaudes, n’engendreront-ils pas autant de jalousie et de haines sociales précoces-que de fraternité ? Ces objections, qui d’ailleurs sont de tous les temps et de tous les pays, en particulier du nôtre où chaque famille a sa clôture, nous reviennent, en ce moment même, d’un pays qui n’est pas réputé pour ses timidités pédagogiques.