souviendrai que vous êtes témoin de toutes mes actions, et je tâcherai de ne rien faire d’indigne de votre auguste présence. Je serai indulgent aux autres et sévère à moi-même, je résisterai aux tentations, je vivrai dans la pureté, je serai tolérant, modéré en tout, et je ne me permettrai jamais que les plaisirs autorisés par la vertu... Souvenez-vous généralement de tous mes bienfaiteurs ; faites retomber sur leurs têtes tous les biens qu’ils m’ont faits ; accordez de même l’assistance de vos bénédictions divines à tous mes amis, à ma patrie et à tout le genre humain en général...
Un Fénelon, semble-t-il, aurait pu signer ces prières. Et pourtant, qu’on y regarde d’un peu près. Outre qu’on relèverait aisément dans ces élévations religieuses quelques réminiscences des prières genevoises, Maurice Masson a eu finement raison d’y noter l’absence complète du nom de Jésus et de l’idée proprement chrétienne. C’est à Dieu le père que Jean-Jacques adresse sa prière, non au Christ ; il n’a pas besoin d’un « intercesseur » ou d’un « médiateur ; » et comme dans nombre de prières genevoises de l’époque, l’inspiration et l’expression, à force d’être générales, sont déjà véritablement, — et d’ailleurs inconsciemment, — déistes. Ainsi donc, même dans la période où on pourrait le croire le plus détaché de « sa patrie, » à son insu peut-être, il lui appartient encore. Il en a gardé le tour d’esprit, les traditions, les contradictions secrètes. Ce poète genevois a eu beau, durant de longues années, se costumer en catholique : le ferment calviniste continue à agir en lui, presque malgré lui. Il restera jusqu’au bout un disciple, à la fois fidèle et involontaire, de Calvin.
Et c’est pourquoi sans doute de tous les éléments divers, et souvent assez mal fondus, qui se sont incorporés à sa philosophie religieuse, l’apport calviniste est peut-être le plus considérable. A Calvin d’abord il emprunte, avec maints arguments contre le « papisme, » son grand principe de l’autonomie de la conscience, son besoin essentiel d’individualisme religieux. Et si ce n’est pas de Calvin que lui vient sa doctrine finale, ce déisme sentimental, que l’ardent réformateur eût repoussé avec horreur et indignation, c’est du calvinisme genevois tel qu’il est généralement professé deux siècles après l’Institution chrétienne.