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Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/451

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ans à Amsterdam. Encore ne s’expliquait -on pas les caractères infiniment particuliers de sa peinture et son goût spécial de décorateur, si différent des préoccupations ordinaires des Ostade et des Gérard Dou. Mais on s’est aperçu que ce maître admirable, loin d’être le créateur de cet art ingénieux, n’était que le reflet de maîtres beaucoup plus grands, dont l’influence se retrouve encore cher ; de Witte et surtout chez ce mobile et curieux Jan Steen : c’est toute une constellation nouvelle dont s’enrichit, en dehors des grands centres d’Haarlem et d’Amsterdam, l’histoire de la peinture hollandaise.

Le musée de La Haye possède un petit tableau exquis (il est aux Tuileries) représentant sur un mur blanchi au lait de chaux et inondé de soleil un oiselet perché sur un barreau de sa mangeoire et attaché par une chaînette : un chardonneret gris et bleu qui vous considère de son œil noir, qui brille comme un clou dans son masque de peluche rouge, à côté de son bec de corne en pointe de diamant. La fantaisie de cette étude, le piquant de l’effet, le prix de la matière, le côté « artiste » et absolument imprévu du sujet, font de ce morceau un délice. Cela pourrait être d’hier, — d’un Manet, d’un Degas, à coup sûr d’un auteur qui aurait vu les Japonais. C’est daté de 1654 et c’est signé Fabritius. On ne sait presque rien de ce Fabritius ; il ne reste de lui que sept ou huit tableaux : le plus important a péri il y a soixante ans, dans l’incendie de Rotterdam. Les meilleurs sont perdus dans les petits musées d’Innsbruck et de Schwerin. Quatre se trouvent au Jeu de Paume. Sur le portrait daté de 1643, on lit l’âge de trente-et-un ans, mais ce portrait est-il le sien ? Il passa vers 1650 par l’atelier de Rembrandt, comme en témoignent les deux études prêtées par M. Hofstede de Groodt, mais en interprétant son maître dans un sens très original d’aristocratie et de dilettantisme. Il fut tué à Delft, le 12 octobre 1654, — l’année du Chardonneret, — par l’explosion de la poudrière. Il n’avait pas quarante-cinq ans.

C’est ce petit-maître inconnu au Louvre et ignoré de Fromentin qui fut, avec de Witte, l’initiateur de l’école de Delft et le maître commun des deux peintres les plus célèbres de ce groupe, Pieter de Hoogh et Jan Vermeer. Celui-ci est la dernière en date et sans doute la plus durable des réputations récentes : le peintre le plus cher de toute la Hollande et l’un des plus coûteux du monde, puisque son tableau de la Ruelle, qui fait partie de la collection Six, était expertisé voilà quelques semaines à plus de deux millions. Rien n’est d’ailleurs plus rare de toutes les manières que les ouvrages de Vermeer : on n’en connaît que trente-neuf (je crois qu’un quarantième a été retrouvé