qui prêtent à Rembrandt les allures parfois suspectes d’un peintre de l’invisible, qui eût cru que cela suffît à l’intérêt de l’art ? Qui eût pensé qu’il suffisait pour sujet de tableau, de la volupté de cette nappe fluide, égale et respirable, qui enveloppe doucement les êtres et les choses ? Il fallait trente ans d’efforts vers la peinture claire, pour nous mettre à même de comprendre l’étonnante nouveauté de ce point de départ. Et, dans toute l’œuvre de la fin du XIXe siècle, citerait-on un seul tableau qui approche de la perfection avec laquelle ce problème de l’atmosphère est résolu, sans même avoir l’air de se poser, par l’imperturbable génie du jeune peintre de la Laitière ?
En récompense, il est le plus grand coloriste de l’école. Tandis que les peintres autour de lui sont conduits à décomposer le ton, à le dissoudre dans la pénombre, et parfois à le faire s’évanouir tout à fait pour n’en plus laisser subsister que les valeurs abstraites, Vermeer emploie les couleurs pures : il a des jaunes citron, il a des bleus inouïs, qu’il relie entre eux par des gris de perle, par on ne sait quoi d’impalpable et de diaphane qui forme le milieu spécial de ses tableaux. Nulle autre peinture ne donnerait à ce point l’illusion de la vie, si le goût, un instinct suprême d’arrangement, une sorte de musique secrète ne venaient nous avertir qu’il s’agit pour Vermeer uniquement de la beauté. Sa Tête de jeune fille, avec son insaisissable contour, avec ce dessin mystérieux qui ne laisse nul écart de valeur entre l’arête du nez et le clair de la joue, avec la ligne de la paupière inférieure continuant l’ovale irréprochable du profil, avec la morbidesse incopiable de ses lèvres béantes où un souffle tiède semble se jouer sur la nacre des dents humides, — cette tête a des recherches de forme qu’on trouve seulement dans certaines femmes d’Ingres ; quant à la grâce du modelé, à la pulpe des chairs, à l’émail virginal et caressant de la matière, à l’étrange et exquise harmonie des jaunes et des bleus encadrant ce divin visage, ce sont des choses que Vermeer seul pouvait sentir et exprimer, avec ce charme bleu et blanc, onctueux et féerique, cette émotion innocente et cette pure joie de l’ornement qui rappellent la beauté d’un carreau de faïence et que le peintre devait aux potiers de son pays.
Ce qui frappe dans cet ensemble d’une incomparable richesse, où il y a des lyriques et des observateurs, des moralistes comme Steen et des orateurs comme Ruysdaël, des luministes comme de Hoogh et des « artistes » comme Vermeer, c’est l’unité de langage ; c’est un