Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/544

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étant un homme du meilleur monde qui se mettait, par vertu, au dernier rang. L’éducation sert à tout, même à passer inaperçu, ou à tâcher de l’être. Un des moines de là-bas, faucheur de blé, toucheur de bœufs, que j’interrogeais, me répondit ce mot magnifique :

— Monsieur, je lui parlais comme à un paysan !

Il ajouta :

— Moi je l’ai vu tous les jours ; il n’a jamais refusé un service à personne : il était beau comme un second François d’Assise !

Le régime de la Trappe éprouve plus d’un novice solidement bâti[1]. Frère Albéric avait une santé de fer et une volonté de même métal. Il a maintes fois déclaré que ni le jeûne, ni les veilles, ni le travail ne l’avaient jamais incommodé. La seule chose qui lui fût difficile, c’est l’obéissance, et là encore nous saisissons un trait de cette nature fière, impétueuse, faite pour le commandement, habituée à l’exercer, et qui ne pliait que sous la grâce.


(Études, méditations, offices, travail manuel, remplissent les mois qui suivent. Les lettres de Frère Marie-Albéric à sa famille sont pleines d’affection, pleines aussi de la joie d’un esprit pacifié. Mais, l’été venu, et selon le projet formé dès l’entrée au couvent, il dit adieu à ses Frères, et, mage qui commençait à voir l’étoile, il se met en marche vers l’Orient. Il croit qu’il doit y vivre et y mourir. Erreur : il ne fera que s’y préparer à des exils plus lointains et à de bien pires solitudes).


Il avait demandé qu’après six mois de noviciat, on l’envoyât dans le plus pauvre et lointain monastère d’Asie-Mineure. Désir de la solitude absolue ? désir d’être celui qui n’est plus qu’un nom, et dont on dit : il est là-bas, je ne sais où ? Souvenir

  1. Il faut se garder, cependant, d’ajouter foi aux légendes qui ont exagéré singulièrement les sévérités de la règle des Trappistes. La pénitence, chez les moines comme chez tous les chrétiens, n’est qu’un moyen de perfectionnement moral ; elle dépasserait le but, si le corps en devenait, pour l’âme, un serviteur malade ou affaibli. Un corps dompté et qui demeure sain ; une âme dès lors plus libre : l’austérité permise ne va pas au delà de ce point, c’est-à-dire de l’équilibre. Il faut savoir, de plus, qu’au cours des temps des atténuations ont été apportées à des rigueurs qui semblaient toutes simples à nos pères plus robustes, sans doute, que nous. Et, pour ne citer que la plus récente, lorsque, en 1892, le Pape Léon XIII réunit, dans un seul ordre, celui des Cisterciens « réformés, les diverses congrégations de Trappistes, il ordonna que les jeûnes ne fussent jamais prolongés au delà de midi.