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chaloupe de guerre la Sabine, O’Meara passa ensuite sur le Victorious, l’Espiègle, le Goliath et le Bellérophon. Sur ces deux derniers navires, il fut aux ordres du capitaine Maitland, qui le prit en gré, et le lui témoigna. Sur le Bellérophon, où Maingault, immobilisé par le mal de mer, était incapable de donner des soins à plusieurs des passagers que la traversée éprouvait, O’Meara le suppléa et dut plusieurs fois rendre compte à l’Empereur. Celui-ci, n’ayant aucun moyen d’engager un médecin, soit en France, soit en Angleterre, pensa à ce chirurgien du Bellérophon, le seul homme de l’art qu’il put atteindre. Pressenti par le duc de Rovigo, recommandé d’abord par Maitland, puis par lord Keith, amiral de la Rouge, « convaincu que le Gouvernement désirait vivement que Napoléon fût accompagné d’un chirurgien de son propre choix, » O’Meara, avant d’accepter, posa ses conditions. Il exigeait premièrement l’exprès consentement de ses chefs ; il pourrait, si l’emploi ne lui convenait pas, le quitter, à condition de prévenir à l’avance ; son temps de service près de Bonaparte lui compterait comme service actif dans la marine de Sa Majesté ; sous aucun rapport, il ne serait considéré comme dépendant de Bonaparte ou payé par lui, mais comme officier anglais, employé et payé par le Gouvernement britannique.

O’Meara réclamait de lord Keith ces garanties par écrit ; lord Keith les donna de vive voix, sans rien écrire. Ainsi le médecin de l’Empereur resta sans un titre qu’il pût faire valoir devant des supérieurs malveillants qui contesteraient les termes de son engagement. Il se trouverait doublement suspect, sans aucune des garanties qu’il comptait s’assurer comme officier anglais.

On se fourvoyait ainsi dans des embarras inextricables. Ce n’était pas un homme à lui qu’emmenait l’Empereur, un homme n’ayant à répondre que devant lui de ses actes professionnels et de sa conduite privée ou publique, c’était un officier médical de la marine britannique, un officier en activité, obligé, par suite, d’obéir à tout officier son supérieur, pour tout ce qui concernait le service. En même temps, comme officier anglais, il ne pouvait être soumis aux règlements dont on avait déjà annoncé la rigueur aux Français, mais, au lieu d’être asservi à une surveillance ostensible, il serait l’objet d’un espionnage secret. Serait-il même considéré comme un officier anglais, exerçant les droits que lui conférait son grade, puisqu’il n’avait