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répond Lowe, d’envoyer des lettres cachetées, si le gouverneur doit les ouvrir ? — Il ne serait pas nécessaire, réplique O’Meara, que les Français le sussent. » Lowe s’indigne du procédé qu’on lui propose, et qu’il trouve indigne de lui. Cette suggestion maladroite lui donne barre sur cet individu, qu’il s’efforce constamment de trouver en faute. Et pourtant il ne peut se passer de lui. O’Meara est le seul sujet britannique qui ait accès près de l’Empereur, le seul qui cause habituellement avec lui, et qui rapporte quelques éléments dont le gouverneur nourrisse ses dépêches. Tout devrait engager Lowe à le ménager, à l’utiliser, à garder par lui le contact avec le prisonnier ; cela ne l’empêcherait point de le surveiller et de le mépriser ; mais le gouverneur est trop dédaigneux et trop infatué pour admettre les tempéraments, trop cassant pour reculer devant la bataille. Et l’on peut croire que, pour le pousser à la lutte, l’idée d’introduire Baxter près de l’Empereur n’est pas de médiocre poids.

Au mois d’octobre, la bataille s’engage. L’Empereur est tombé malade, gravement, disent ses officiers. O’Meara fournit des bulletins au gouverneur qui les communique aux commissaires des Puissances alliées, résidant à Sainte-Hélène, et ceux-ci les envoient à leurs cours. Des indiscrétions apprennent à l’Empereur l’existence de ces bulletins. Par le grand-maréchal, il fait signifier à O’Meara l’interdiction de fournir au gouverneur des bulletins qui ne lui aient point été soumis, et dans lesquels il ne soit point qualifié : « l’Empereur Napoléon. » Lui-même le répète à O’Meara. Il invoque le secret professionnel imposé au médecin qui, contre la volonté du patient, n’a le droit ni de raconter, ni de décrire la maladie dont il souffre. Il n’admet pas que, dans ces bulletins qui courront l’Europe, il soit dégradé de sa dignité : « Il préférerait la mort. » Il demande à O’Meara de s’engager, sous parole d’honneur, à ne plus écrire de bulletins sans les lui soumettre. S’il refuse, il ne le verra plus, et ne le consultera plus comme médecin. O’Meara prétend qu’il fit des objections, qu’il essaya d’obtenir quelques concessions, mais l’Empereur estime que son honneur est en jeu, et il mourra sans secours, plutôt que de céder.

Telle est la déclaration qu’O’Meara, dans l’esprit qu’on lui connaît, vient rapporter à Lowe. Le gouverneur, qui faisait signer par Baxter les bulletins remis par O’Meara et qui comptait trouver, dans la maladie de Napoléon, des facilités pour