Le dimanche de Pâques, le jeune enseigne Dobsa se promenait sur le Corso, quand des gars de Lénine lui demandèrent ses papiers d’identité. Il les avait égarés. Au palais Batthyani, Dobsa s’informa près du portier où il pourrait se procurer d’autres pièces. Celui-ci l’adressa à un fonctionnaire juif, nommé Schön, qui se mit à l’injurier et à le traiter de coquin. L’enseigne, les talons joints, dans la position militaire, esquissa un sourire, en frappant d’un geste nerveux ses bottes avec sa badine. « Voici un sourire, lui dit Schön, qui va se geler sur tes lèvres. » Et il téléphona à Cserny : « Je t’envoie un gaillard bon à expédier au gaïdès. » Gaïdès, en jargon yddisch, est la corruption du grec « hadès : » envoyer quelqu’un au gaïdès, c’était l’envoyer aux enfers. Là-dessus, Dobsa est mené devant Cserny, qui le fait reconduire à Schön pour supplément d’information. Et Schön de le renvoyer de nouveau, avec ce simple billet : « Expédie-le à l’anglaise ! » Cette fois, cela suffit à Cserny. Des gars de Lénine entraînèrent l’enseigne dans la cave, et lui montrant un gros tas de charbon, ils lui dirent d’y creuser sa fosse. Le jeune homme résiste. On le roue de coups. Le malheureux se mit alors à creuser avec ses mains, et quand le trou fut assez grand, ses bourreaux l’y firent tomber, en lui tirant à bout portant une balle de revolver dans la nuque. Puis on jeta son corps au Danube... Pendant plusieurs jours de suite, on put voir, aux abords du palais Batthyani, une femme qui venait obstinément s’informer du jeune enseigne qu’elle croyait prisonnier : c’était la mère de Dobsa.
MM. Hollan, père et fils, l’un ancien sous-secrétaire d’Etat, l’autre directeur des chemins de fer, avaient été dénoncés par leur concierge comme suspects d’antibolchévisme, et leur nom figurait sur la liste des otages dressée par le sinistre Otto Klein-Corvin. Une nuit, un auto-camion, conduit par des gardes-rouges, s’arrêta devant leur porte. « Ces deux-là, je vais les chauffer ! » déclara un certain André Lazare, qui dirigeait l’expédition, et auquel Hollan, le père, avait naguère refusé de signer une requête pour le dispenser du service. Les terroristes entrent chez les Hollan, les arrêtent, les font monter en auto. Puis le camion continuant sa rafle, ramasse en route un secrétaire d’État, un juge de la Cour d’assises, des membres de la Cour de cassation, qu’on jette dans le fond de la voiture. Il gelait très fort, cette nuit-là. Un moment, les gars de Lénine se