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plus importantes, qui tiennent à notre âme, et que vous ne saisirez jamais, — pas plus que nous ne pouvons nous vanter de pénétrer dans vos cœurs. Notre erreur, pendant cinquante ans, a été de croire qu’à notre gré nous pouvions faire des Hongrois avec des Juifs. Cela est impossible. Les plus loyaux parmi vous le reconnaissent et s’en font gloire à juste titre. Chaque homme n’a pas un trésor d’affection collective illimité. Chacun de nous ne peut aimer qu’une patrie à la fois. Vous, vous avez la vôtre, et d’autant plus splendide qu’elle est située dans l’idéal, dans l’espérance et la nue. Mais n’essayez pas de nous tromper et de vous tromper vous-mêmes. Vous pouvez avoir du goût, de la sympathie, de l’attachement pour tel ou tel peuple étranger ; naturalisés, baptisés, vous pouvez être fidèles, loyaux à votre nouvelle religion et à votre nouvelle patrie ; mais cela ne saurait aller plus loin. Vous êtes d’Israël et vous restez, en Israël, les plus nationalistes des hommes. Je ne vous en veux point de cela, je vous en admire plutôt. Toute race a son mystère qui la soutient et la conserve. Vous avez votre secret, magnifique et respectable comme celui de tous les peuples. Souffrez seulement que si nous vous acceptons libéralement chez nous, nous ne nous soucions pas de remettre nos destinées dans vos mains. Je vous accorde volontiers que nous autres Hongrois, nous sommes moins subtils, moins actifs que vous. Nous possédons très peu le sens de cette vie moderne, que vous avez si puissamment contribué à créer à votre image. Mais nous avons une vieille âme, enfantine, généreuse et chevaleresque ; une vieille âme orientale, paresseuse et rêveuse ; un caractère particulier, qui nous vient de nos origines lointaines ; un tempérament national, que nous ont fait mille ans d’histoire. Peu nous importe que, grâce à vous, nous devenions plus pareils, au moins en apparence, à tout le reste de l’Europe. Nous voulons demeurer nous-mêmes, bons ou mauvais, intelligents ou stupides. Nous avons subi trop longtemps votre domination insinuante et tous les faux prestiges dont vous nous avez abusés. Nous les rejetons aujourd’hui. Nous refusons d’être dans notre plaine un bétail mené par des bergers étrangers, même si ces bergers s’appellent Abraham ou Moïse.

Et le Juif qui, depuis deux mille ans, a entendu bien d’autres paroles amères et s’est tiré de bien d’autres mauvais pas, réplique à son tour sans colère :