Ranieri : « Ouvrez la fenêtre, afin que je voie encore la lumière ! » Ce philosophe, le plus sombre qu’il y eut, aimait la lumière du jour comme l’aimait Iphigénie, naïve jeune fille.
Non, les pessimistes ne sont pas tristes. Parmi eux, et le plus acharné d’entre eux, Arthur Schopenhauer concluait que la vie est mauvaise et confondait la douleur avec la substance de toute la réalité. Mais, quant à lui, pourvu qu’il eût à boire des chopes de bière, il se régalait de saucisses fumées, se raillait de l’hégélianisme et jouait de la clarinette.
Restons chez nous. Voici Rousseau et Voltaire. Rousseau est le type d’un optimiste parfait, croyant l’homme naturellement bon, croyant même qu’il suffit de modifier la constitution des États pour installer le bonheur en ce monde. Et Voltaire, lui, est le type d’un pessimiste avéré, ne croyant ni à la bonté naturelle ou acquise de l’homme ni à la possibilité d’organiser le paradis et l’âge d’or en ce monde. Rousseau est triste et. Voltaire, non pas. Vous ne rirez pas, la semaine que vous aurez consacrée à lire la Nouvelle Héloïse. Mais vous rirez, le soir que vous relirez Candide : vous rirez, tout en voyant bien qu’il siérait de pleurer.
Ce qui fait que les optimistes ne sont pas égayants, c’est peut-être que leur doctrine concorde mal, ou difficilement, avec la réalité que nous avons sous les yeux. Il leur faut arranger les choses, d’une façon qui trahit le stratagème et ainsi nous met en méfiance : nous venons vite à soupçonner une supercherie obligeante, ingénieusement destinée à nous cacher la vérité la pire. Les pessimistes ont-ils raison ? Nous leur savons gré de ne nous pas traiter comme des enfants à qui l’on peint la vie en rose. Nous ne tardons guère à nous apercevoir de la malveillance avec laquelle ils refusent de voir la vie en rose : leur philosophie nous a l’air d’un badinage. Eux-mêmes ne sont qu’à moitié dupes de leur désenchantement, ainsi que le prouve leur gaieté. Ou bien leur gaieté n’est-elle qu’un signe de leur courage ? Nous rivalisons de courage avec eux ; et le courage est une vertu gaie.
Le nouveau roman de M. Tristan Bernard, L’Enfant prodigue du Vésinet, comment aurait-on l’esprit tourné pour n’en point aimer la drôlerie ? C’est l’histoire d’un jeune homme à qui ses parents voudraient faire épouser une jeune fille peu plaisante. Il s’en va. Il a compris que, s’il restait à la maison, rien ne lui épargnerait l’ennui de ce mariage : sa mère a beaucoup d’énergie, et lui n’en a guère ; une petite énergie est sous la domination d’une forte énergie, évidemment.