victimes d’une façon qui n’est pas indulgente. La galerie de tableautins qu’elle a signés, tâchez de ne pas vous y reconnaître. Hélas ! vous ne manquerez pas de vous y reconnaître un peu, à moins que vous ne soyez avec soin très mal informé de vous-mêmes. Et vous rirez cependant : l’image est drôle.
Parmi les travers de notre époque, celui que Mme Gyp a le plus vertement raillé, c’est le snobisme, qui nous dispense d’avoir une opinion, qui nous impose une opinion toute faite. Jules Lemaitre, un jour, a vanté le snobisme comme une vertu sociale : sans le snobisme, nos contemporains seraient plus dispersés qu’ils ne le sont ; quelle anarchie ! Et le snobisme est un signe de docilité, d’humilité... Mais le snobisme, tel que Mme Gyp l’a remarqué parmi ses contemporains divers, ne leur ôte pas la vanité, la présomption, ni l’égoïsme.
Les personnages de Mme Gyp ont le plus fol orgueil de leurs opinions empruntées : ils croient les avoir prises chez le bon faiseur. Ce sont des opinions de riches, ou qui « font riche, » comme on dit. Nulle sincérité ! Sans la sincérité, nos sentiments et nos idées ne valent rien, ne sont que des tics. Le cœur humain ? C’est un endroit où la mode fait passer des frissons rapides et analogues à l’agitation d’une poupée qu’on électrise.
Mais, voici que Mme Gyp nous donne un « conte bleu, » Mon ami Pierrot, l’histoire d’un petit garçon qu’un bonhomme de prêtre a généreusement recueilli, élevé, mis au lycée jusqu’à ce qu’il devînt un bel officier sorti de Saint-Cyr. Une petite fille, de très bonne famille et dont la grand’mère est duchesse, est la compagne de jeux du petit garçon, s’éprend de lui, l’adore et veut l’épouser. Idylle ravissante, puérile et qui dure au delà de l’âge anodin ! La jeune fille et le bel officier s’aiment d’amour ; elle est exubérante : il est timide. Comment voulez-vous qu’une si noble héritière épouse un enfant trouvé ? Après maintes péripéties, vous saurez que l’enfant trouvé n’est pas indigne de la noble héritière. Il est comte, il a de la fortune ; on l’aimait, et on l’aime encore. Il a fallu, pour en arriver à de telles certitudes, déjouer un vilain homme. Les méchants sont punis, la vertu est récompensée. Or, ce récit de bonheur et tel qu’on voudrait que fût la vie. Mme Gyp l’appelle « un conte bleu : » elle ne parait pas y croire ou corrige de quelque ironie son essai de crédulité.
ANDRE BEAUNIER.